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I.               INTRODUCTION

Conformément au mandat de l’Union africaine visant la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit au sein de ses Etats membres et en application de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG), le Président de la Commission de l’Union africaine (CUA), S.E.M. Moussa Faki Mahamat a déployé une Mission d’Observation Electorale (MOEUA) afin de suivre et de procéder à une évaluation objective des élections législatives du 17 décembre 2022 en République Tunisienne et d’en faire rapport. 

 

La MOEUA intervient conformément aux instruments internationaux pertinents régissant l’observation et la conduite des élections ainsi que le cadre légal suivant en vigueur en République Tunisienne : 

  • La Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique ; 
  • Les Directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de suivi des élections ;
  • l’Agenda 2063 de l’Union africaine qui vise, en son aspiration 3, à garantir la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’état de droit sur le continent ;
  • Le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs ;
  • La Constitution et les lois de la République Tunisienne. 

Conduite par S.E. Dr. Ibrahim Assane MAYAKI, ancien Premier Ministre de la République du Niger et ancien CEO du NEPAD, la MOEUA est composée de quarante-cinq (45) observateurs et experts représentants : le parlement panafricain, les Ambassadeurs représentants permanents auprès de l’Union africaine à Addis Abeba, les organes de gestion des élections, les organisations de la société civile et la Commission de l’Union africaine provenant de vingt - sept (27) pays africains. 

La présente déclaration rend compte des observations pré-électorales et des constats sur le déroulement des opérations de vote et de dépouillement dans les bureaux de vote visités. La Mission continuera à suivre l’évolution du processus électoral et un rapport final plus exhaustif sera publié.

II. OBJECTIFS ET METHODOLOGIE DE LA MISSION

Au regard de son mandat, la MOEUA avait pour objectif de procéder à une évaluation indépendante et impartiale de l’organisation et de la conduite des élections législatives du 17 décembre 2022, d’une part, et de formuler des recommandations pertinentes à l’effet de contribuer à l’amélioration des processus électoraux futurs, d’autre part. La méthodologie suivie pour ce scrutin est l’observation de court terme. 

La MOEUA a eu une série d’échanges et de rencontres avec les parties prenantes au processus électoral : le Ministère des Affaires Etrangères, le Tribunal Administratif, l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), des organisations de la société civile (association des personnes vivant avec handicap, association des femmes et association des jeunes), des représentants des partis politiques, le groupe des ambassadeurs africains accrédités en République Tunisienne, et les Missions internationales d’observation électorale.

En outre, elle a organisé à l’attention de ses observateurs, une session d’information et d’orientation sur le contexte sociopolitique, le cadre juridique, l’état des préparatifs des élections, les méthodes et outils d’observation, de collecte et de traitement des données.

Le jour du scrutin, la MOEUA a déployé quarante-cinq (45) observateurs répartis en dix-neuf (19) équipes de deux à trois observateurs dans quinze (15) régions : Tunis (4 équipes), Ariana, Ben Arous (2 équipes), Nabeul (2 équipes), Beja, Jendouba, Sfax, Zaghouan, Sousse, Monastir, Mahdia, Kairouan, Gabes, Bizerte et Manouba.

III. CONSTATS ET OBSERVATIONS PRELIMINAIRES  

Plusieurs points ont fait l’objet des observations préliminaires de la Mission.

A.   Contexte politique des élections législatives

L’atmosphère politique a été marquée par des soubresauts notamment par : l’instauration de l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire, la dissolution de l'Assemblée des représentants du peuple et de la Constitution tunisienne le 25 juillet 2021 et les réformes constitutionnelles visant une refonte du système politique dont l’adoption devait mettre fin à l’état d’urgence, ainsi que le référendum constitutionnel du 25 juillet 2022.

La MOEUA déplore l’absence de consensus politique sur la tenue des élections législatives anticipées qui a conduit au boycott par une partie de la classe politique du processus électoral.

B. Cadre juridique des élections législatives 

La constitution de la République Tunisienne adoptée par référendum constitutionnel le 25 juillet 2022 est entrée en vigueur le 16 août de la même année. Elle a institué un régime présidentiel et l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) élus au suffrage universel au scrutin uninominal à deux tours. La réforme du système électoral institue un mode de scrutin uninominal à deux tours, délaissant le système de représentation proportionnelle à liste bloquée au plus fort reste mis en place lors des élections législatives de 2011 et 2014.

Le décret-loi numéro 55 du 15 septembre 2022, portant sur les élections et référendum amende et complète la loi organique numéro 16 du 26 mai 2014, portant sur les élections et référendum. Il prévoit le vote de l’ensemble des Tunisiens et Tunisiennes inscrits sur le registre électoral, âgés de 18 ans et jouissant de leurs droits civiques et politiques y compris ceux de l’étranger. Par ailleurs, la nouvelle loi électorale prévoit entre autres, le retrait de confiance à un député de sa circonscription en cas de violation avérée de ses obligations parlementaires, le parrainage de 400 électeurs par candidature, la suppression du financement public des campagnes électorales. De plus, le nombre de circonscriptions électorales est passé de 33 à 161 et le nombre de sièges de 217 à 161, soit un (1) siège par circonscription, dont 10 à l’étranger.  

C. Enregistrement des électeurs

Le mode d’inscription des électeurs a connu un changement. Il est parti d’une inscription volontaire en 2011 à une inscription automatique en 2022 avec lien à l’adresse personnelle. Ainsi, le fichier électoral compte 9.136.502 électeurs (50,56% de femmes) dont 8.981.467 sur le territoire national et 155.035 à l’étranger. Cette opération a permis de générer 4 551 centres de vote dont 140 à l’étranger et 11 310 bureaux de vote dont 175 à l’étranger.

D. Des candidatures aux législatives 

L’article 19 nouveau de la loi électorale qui fixe les conditions de candidature à l’Assemblée des représentants du peuple prévoit que le candidat doit être âgé de 23 ans le jour du scrutin, de parents tunisiens et résider dans la circonscription électorale où il est candidat.

La candidature individuelle aux élections législatives est validée à travers l’obtention de 400 signatures d'électeurs (parrains) légalement inscrits dans la circonscription concernée, avec la parité numérique hommes/femmes, et 25% de moins de 35 ans.

La Mission relève par ailleurs que ces nouvelles mesures interdisent le financement public et de personnes morales, des campagnes électorales. 

Au cours des rencontres, les acteurs politiques ont noté que ces exigences peuvent avoir une incidence sur la participation des femmes et des jeunes qui sont moins susceptibles de disposer des mêmes réseaux d’influence locaux pour parrainer leurs candidatures et des mêmes moyens financiers que leurs homologues masculins. 

Sur 1427 candidatures dont 212 candidatures féminines, soit 15%, l’ISIE a retenu le 21 novembre 2022, 1 055 candidats, dont 122 femmes (11.56%). Parmi eux, 1 052 candidats se présentent dans 151 circonscriptions en Tunisie et trois dans trois circonscriptions à l'étranger. 07 des 10 circonscriptions électorales à l’étranger n'avaient aucun candidat et 10 circonscriptions électorales n'ont enregistré qu'un seul candidat.

E. Campagne électorale 

Conformément aux dispositions de la loi sur les élections en République Tunisienne, la campagne électorale a été ouverte le 25 novembre et close le 15 décembre 2022 sur le territoire national et le 13 décembre à l’étranger. Pour encadrer le déroulement de la campagne, l’ISIE a mis en place des cellules de contrôle des activités de campagne sur le terrain, les réseaux sociaux et les mass-médias. Pour sa part, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) a assuré une couverture médiatique et contrôlé les activités de campagne liées à chaque candidat. Toutefois, la Mission n’a pas noté d’activités de campagne substantielles.

G. Sensibilisation des électeurs 

La Mission a noté avec satisfaction la contribution positive de certaines organisations de la société civile dans le processus électoral. Ensemble avec l’organe en charge des élections, les organisations de la société civile à l’instar du Centre Tunisien Méditerranéen (TUMED) ont mené des actions d’éducation citoyenne et de sensibilisation autour du scrutin, notamment en zone rurale. 

H. Participation des femmes et des jeunes 

La Mission a noté avec satisfaction une présence importante de femmes et de jeunes parmi les membres des bureaux de vote, la représentativité des femmes et des jeunes demeure par ailleurs un défi à relever dans le processus électoral ; notamment au plan des candidatures (11,56% de candidates) et au niveau des structures de l’ISIE. Cependant, la Mission a noté la forte participation des femmes et des jeunes dans l’observation domestique, à l’instar du Centre Tunisien Méditerranéen (TUMED) qui a déployé 180 observatrices mobiles dans près de 600 centres de vote. 

En ce qui concerne les jeunes, des échanges de la Mission avec certaines associations de jeunes, il en ressort un déficit de confiance dans le système électoral. Selon ces derniers, ils ne se sentent pas impliqués dans les joutes électorales, faute d’encadrement politique et de ressources financières.

IV. OBSERVATIONS DU JOUR DU SCRUTIN

A l’issue de de la journée électorale, les observateurs ont visité 234 bureaux de vote dont 30% en zone rurale. Les constats suivants ont été observés :

A.   Ouverture des bureaux de vote

L’environnement et l’atmosphère générale étaient pacifiques et calmes dans tous les bureaux de vote visités, aucun incident n’a été signalé par les observateurs.

La quasi-totalité des bureaux de vote visités ont ouvert à l’heure légale (8 heures), Les membres des bureaux de vote étaient présents, ainsi que les superviseurs de l’ISIE. Le matériel était disponible et en quantité suffisante dans tous les bureaux de vote visités et les procédures d’ouverture ont été respectées. Dans tous les centres de vote, les listes des électeurs étaient affichées de manière visible à l’entrée.

Dans la majorité des cas, les bureaux de vote étaient accessibles pour les personnes vivant avec un handicap.

B.   Déroulement des opérations de vote

Dans la quasi-totalité des bureaux de vote visités, le nombre des membres du bureau de vote était de trois (3) personnes.

L’aménagement des bureaux de vote a permis la fluidité et le secret du vote. Les procédures de vote ont été respectées (Vérification des électeurs sur les listes, encre indélébile etc.). 

Toutefois, la Mission a relevé que les différents intervenants dans le centre de vote (le membre du bureau de vote, le superviseur de l’ISIE) n’avaient pas toujours de signe distinctif, créant ainsi une certaine confusion. 

Les observateurs ont relevé que les électeurs étaient marqués à l’encre indélébile avant de recevoir le bulletin de vote ; ce qui a pour risque d’invalider les bulletins tâchés par mégarde.

C.   Sécurisation des opérations de vote

Les forces de sécurité étaient présentes en grand nombre et armées dans la plupart des centres de vote visités.

D.   Représentants des candidats et observateurs

Certains représentants de candidats étaient présents dans les bureaux de vote visités. La Mission note que la majorité des candidats n’étaient pas représentés.

E.    Participation électorale

A l’ouverture et tout au long de la journée, aucune file d’attente n’a été notée par la Mission. La Mission note un manque d’engouement caractérisé par un très faible taux de participation ; selon l’ISIE, il est de 8,8% soit 803.638 électeurs votants sur un corps électoral de 9.136.502.

F.    Clôture et dépouillement

Les opérations de clôture et de dépouillement se sont déroulées dans un climat paisible. Tous les bureaux de vote visités par la Mission ont fermé à l’heure légale (18h), le dépouillement des scrutins a été opéré de manière satisfaisante et conformément à la loi électorale.

Par ailleurs, la Mission relève que les représentants des candidats n’ont pas reçu une copie du procès-verbal dans certains bureaux de vote. Pendant les opérations de dépouillement, la Mission a noté l’absence des scrutateurs et le non-classement des bulletins dépouillés par candidat selon les procédures. Toutefois, la Mission a noté l’affichage immédiat des résultats devant les bureaux de vote après l’achèvement du dépouillement.

V. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

La Mission d’Observation Electorale de l’Union Africaine note le climat apaisé qui a prévalu le jour du vote. Elle note avec satisfaction le bon déroulement des opérations de vote et félicite l’ISIE pour les efforts techniques et professionnels. 

Il faut cependant noter que l’absence de consensus politique sur la tenue des élections était notable. Avoir un consensus politique est un aspect crucial pour la consolidation de la démocratie et le développement. 

Le faible taux de participation annoncé par l’ISIE interpelle l’ensemble de la classe politique tunisienne pour un dialogue inclusif et consensuel afin d’œuvrer à poursuivre l’ancrage de la démocratie, le développement et la stabilité dans le pays. 

La Mission remercie le gouvernement de la République Tunisienne et le peuple tunisien pour l’hospitalité et l’accueil chaleureux ainsi que les facilités permettant la bonne conduite de la Mission.

La MOEUA, fait les recommandations préliminaires suivantes :

A l’ensemble de la classe politique :

Privilégier le dialogue inclusif et ouvert pour trouver des solutions visant un apaisement du climat politique.

Aux autorités gouvernementales :

  • Initier un dialogue national avec une approche inclusive pour un consensus élargi sur les points de divergence ;
  • Prendre des mesures spécifiques sur le parrainage pour permettre aux candidats de la diaspora, les minorités, les femmes et les jeunes de réunir le nombre requis de parrains ; et
  • Prendre des dispositions légales garantissant une participation équitable des femmes et des jeunes dans le processus électoral.

A l’organe chargé des élections :

  • Impliquer davantage les parties prenantes dans la mise en œuvre du processus électoral ;  
  • Renforcer l’information et l’éducation électorale en vue de permettre à un maximum de citoyens de participer effectivement aux processus électoraux, notamment les femmes et les jeunes ;
  • Instaurer une campagne de sensibilisation accrue favorisant une participation massive des électeurs ; et
  • Renforcer la formation du personnel électoral.

A la société civile

  • Poursuivre les efforts de plaidoyers auprès des autorités, des acteurs politiques et des citoyens en vue de consolider les importants acquis démocratiques de la République tunisienne ; et
  • Maintenir un engagement toujours plus important dans l’éducation civique et électorale des citoyens. 


Pour la Mission

Le Chef de Mission

 Dr. Ibrahim Assane MAYAKI

                                                                         

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