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RÉSUMÉ EXÉCUTIF

La crise qui frappe la région du lac Tchad plongeant les populations qui vivent le long de ses rives dans une situation de grande instabilité constitue désormais un sujet de préoccupation au niveau mondial L’ampleur de cette crise est phénoménale, ses causes sont complexes et sa résolution semble pour l’heure peu probable Il lui faudra sans doute attendre encore une génération avant de connaître une issue favorable Entre temps, un effort considérable est déployé en vue d’y remédier mais le défi est de taille. Pour le relever, un changement de perspective s’impose, tant au niveau de l’orientation de l’action engagée qu’au niveau de l’approche retenue et des ressources qui lui sont dévolues.

Il y a différentes façons de qualifier la situation dans cette région et davantage encore pour conceptualiser la réponse qu’il convient d’y apporter En substance, il y aurait dans cette région trois crises distinctes mais interdépendantes et se renforçant mutuellement : un déficit structurel et persistant en matière de développement ; une rupture du contrat social qui s’est manifestée par le mépris des lois et a entraîné une insurrection violente perpétrée par des extrémistes ; une catastrophe environnementale annoncée et irréversible, mais qui nécessite de l’attention et des ressources pour en atténuer l’impact sur les populations et les aider à absorber les chocs et à s’y adapter au fil du temps.

Une réponse régionale est nécessaire car ni les causes ni les effets de la crise ne respectent les frontières nationales Les indicateurs de développement humain des différentes zones situées autour du lac sont parmi les plus faibles au monde Le mal insidieux de l’extrémisme violent échappe au contrôle des frontières La réalité actuelle et la menace future du changement climatique défient toutes les institutions et les autorités.

La Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) a été chargée par ses États membres d’organiser et de faciliter les mécanismes et processus nécessaires au renforcement de la coopération transfrontalière en matière de sécurité et de stabilisation, de relèvement rapide et de développement En mars 2015, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a autorisé le déploiement de la Force multinationale mixte (FMM), exprimant ainsi son soutien aux efforts déployés par les États membres de la CBLT et le Bénin pour « créer un environnement sûr et sécurisé et contribuer à stabiliser la situation dans les zones touchées » par les activités de Boko Haram.

En dépit des progrès importants accomplis par la FMM, le succès global de cet effort collectif dépendra de la cohérence de l’accélération et de l’achèvement des efforts déployés par les États membres de la CBLT, ainsi que par toutes les parties prenantes au titre de la deuxième phase du mandat, qui appelle à « faciliter la mise en œuvre, par les États membres de la CBLT et le Bénin, de programmes d’ensemble de stabilisation dans les régions affectées, y compris la pleine restauration de l’autorité de l’État et le retour des personnes déplacées internes et des réfugiés ».

La présente stratégie a été élaborée par la CBLT, avec le soutien de l’UA Elle cherche à établir une approche commune et un cadre inclusif pour toutes les parties prenantes en vue de soutenir une transition opportune, coordonnée et efficace, susceptible de faciliter le passage de la stabilisation au relèvement rapide et de favoriser la relance des processus de développement actuellement au point mort La mise en œuvre de la stratégie sera guidée et supervisée par un Comité directeur qui rendra compte au conseil ministériel de la CBLT.

Il est nécessaire d’agir avec urgence et conviction pour réussir cette transition et consolider les succès de la FMM La crise du lac Tchad offre l’opportunité de mettre en œuvre la « Nouvelle façon de travailler » préconisée lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire de 2016 et en impose l’obligation Reconnaissant que les acteurs de l’aide humanitaire et du développement, les gouvernements, les organisations non gouvernementales (ONG) et le secteur privé ont, des années durant, progressivement appris à mieux travailler ensemble pour répondre aux exigences requises, la Nouvelle façon de travailler vise à offrir un moyen concret de supprimer les obstacles inutiles à une telle collaboration afin d’aboutir à des progrès significatifs.

Dans la mesure du possible, ces efforts devraient renforcer et accroître les capacités déjà existantes au niveau national et local Bien qu’elle ait une portée régionale, cette stratégie repose sur le principe de l’appropriation nationale et sera mise en œuvre par les gouvernements nationaux des États touchés La coopération politique transfrontalière en constitue le premier pilier Animé par la CBLT, le Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad, récemment créé, sera le principal moyen de garantir sa realisation.

La lutte contre le fléau que constitue Boko Haram exige la poursuite des opérations militaires pour contenir ses activités. La présente stratégie rend hommage à la bravoure et au sacrifice des membres de la FMM et de tous ceux qui, arborant l’uniforme de leur pays, risquent leur vie et l’ont parfois donné pour lutter contre l’extrémisme violent Leur travail est inachevé et nécessite un soutien financier et technique supplémentaire.

Les opérations militaires, la démobilisation et le désarmement des anciens combattants doivent se poursuivre jusqu’à ce que l’État reprenne ses droits de monopole de la violence Il est toutefois improbable que cet objectif soit pleinement atteint si ce monopole est utilisé à mauvais escient L’extrémisme violent se nourrit de griefs et les tactiques intelligentes de contre-insurrection exigent la tolérance zéro en matière de violations des droits de l’homme Cette stratégie vise à garantir l’obligation de rendre compte des forces de sécurité tout en renforçant leurs capacités La sécurité et les droits de l’homme constituent le deuxième pilier d’intervention de la stratégie Les besoins spécifiques de la FMM pour s’acquitter de son mandat.

Les efforts nationaux de démobilisation et de désarmement de Boko Haram doivent s’accompagner d’une approche régionale harmonisée de triage, des poursuites, de la réhabilitation et de la réintégration des combattants et des personnes qui leur sont associées, conformément aux normes internationales Il s’agit du troisième pilier d’intervention de la stratégie : les quatre pays concernés ont élaboré et approuvé l’approche, préparée avec le soutien technique de l’UA et d’autress organismes et entités des Nations Unies compétentes dans ce domaine.

L’ampleur de la crise du lac Tchad est telle qu’une aide humanitaire sera nécessaire pendant encore de nombreuses années Le processus de stabilisation doit garantir l’accès à ces services et leur sécurité sur la base des seuls besoins, conformément aux principes internationaux inviolables d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance L’aide humanitaire constitue le quatrième pilier de la stratégie.

Dans de nombreux endroits autour du lac, la présence de l’État est faible voire inexistante dans la vie des habitants Le cinquième pilier de la stratégie décrit la manière dont les capacités et les normes de gouvernance doivent être améliorées si l’on veut rétablir le contrat social, relancer le processus de développement et gérer la crise environnementale.

Le sixième pilier de la stratégie vise à faire en sorte que des moyens de subsistance durables remplacent la fourniture de l’aide humanitaire le plus tôt possible Les projets d’infrastructure et autres travaux publics peuvent créer des emplois immédiats à court terme et dynamiser les économies locales Dans un avenir prévisible, la reprise socio- économique de la région restera dépendante de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage Le relèvement rapide et l’expansion de ces secteurs sont d’une importance vitale et ne peuvent se faire que par le biais de programmes de subventions et de crédits Le développement de la chaîne de valeur et la relance du commerce transfrontalier ont aussi un rôle majeur à jouer À plus long terme, à mesure que la paix sera consolidée et que les infrastructures seront reconstruites, les tendances démographiques qui annoncent l’explosion démographique de la jeunesse nécessiteront également un environnement propice aux affaires visant en premier lieu à créer des emplois grâce à de nouveaux cadres politiques et juridiques favorisant les investissements, le commerce et l’activité économique.

Tous les futurs investissements dans le développement socio-économique doivent être résistants au changement climatique : les évaluations de la fragilité à l’égard du changement climatique devraient sous-tendre le processus de planification afin de renforcer la résilience aux chocs, de soutenir l’adaptation et l’atténuation et d’assurer la durabilité à long terme.

L’éducation est au cœur du problème et sera la clé de sa solution Elle constitue donc le septième pilier de la stratégie Les écoles doivent être reconstruites, les enseignants recrutés et formés, les taux de scolarisation améliorés et les taux d’achèvement en ce qui concerne l’alphabétisation et d’autres compétences de base accrus Le rattrapage éducatif doit être accessible à ceux qui ont manqué l’école et la scolarisation dans des écoles non étatiques soumise aux processus appropriés d’enregistrement, d’approbation des programmes, de certification des enseignants et de contrôle de la qualité L’éducation de base doit être complétée par des initiatives de formation professionnelle et de création d’entreprise ciblées pour inculquer aux jeunes les compétences dont ils ont besoin pour intégrer le marché du travail et gagner leur vie.

Des initiatives spécifiques seront nécessaires pour renforcer les capacités des autorités et des communautés en matière de prévention de l’extrémisme violent C’est la fonction du huitième pilier Il apparaît indispensable de mobiliser les communautés afin de les engager à contester les discours extrémistes et d’orienter le débat public de sorte à encourager le rejet et la dénonciation de l’idéologie de l’extrémisme violent Il conviendrait également de renforcer la coopération transfrontalière entre toutes les parties prenantes de même qu’il faudrait instaurer l’architecture de la paix au niveau local, national et régional et la rendre opérationnelle afin d’assurer l’efficacité des systèmes d’alerte rapide dans tous les cas de conflits et de renforcer les capacités des parties prenantes concernées à réagir en temps et en heure.

La crise du lac Tchad a touché de manière disproportionnée les femmes et les filles. De ce fait, il convient d’intégrer

une approche tenant compte de la problématique hommes-femmes dans la réponse, alors que le neuvième pilier de la stratégie appelle à prendre des mesures spécifiques pour lutter contre une culture dans laquelle la violence sexuelle et sexiste est devenue endémique. Il apparaît également nécessaire de réaliser des études spécifiques sur la dimension de genre, de concevoir et de mettre en œuvre des initiatives qui autonomisent les femmes et les jeunes, encouragent leur participation à tous les processus de stabilisation, de relèvement rapide et de développement, et mettent en place des mécanismes de suivi des problèmes particuliers des femmes afin d’améliorer les activités de surveillance, d’établissement de rapport, d’analyse et de plaidoyer dans ce domaine.

Il est prévu que la mise en œuvre des différents piliers d’intervention de cette stratégie soit liée et coordonnée lors de l’élaboration de plans d’action territoriaux distincts applicables aux huit États ou régions les plus touchés dans la région du lac Tchad La CBLT, avec le soutien de la CUA, devrait assurer la cohérence et la coordination du processus au niveau régional, ainsi que la facilitation de la coopération transfrontalière qui contribuera de manière significative à leur realisation.

Cette stratégie ne peut pas tout résoudre et ne prétend pas le faire C’est un premier essai sur cinq ans de ce qui est appelé à devenir un effort intergénérationnel  Les ressources limitées et précieuses doivent être ciblées avec soin, et la faiblesse actuelle de la gouvernance et des capacités d’absorption doit être reconnue et abordée.

L’annexe I de la stratégie prévoit un budget indicatif d’environ 12 milliards de dollars US pour sa réalisation C’est un chiffre énorme qui semble à prime abord impressionnant Il devient beaucoup plus acceptable dès que l’on comprend qu’il s’agit de la somme globale des contributions de l’ensemble des parties prenantes, y compris les gouvernements nationaux et locaux, ainsi que les partenaires techniques et financiers internationaux, portant sur les montants à provisionner au titre de l’intervention militaire, de l’aide humanitaire et de l’aide au développement Les gouvernements du Cameroun, du Niger, du Nigéria, et du Tchad devraient constituer le groupe le plus important de contributeurs Les fonds ainsi alloués proviendraient des plans de développement nationaux, des programmes sectoriels et des initiatives spécifiques aux crises ciblant les États et les régions concernés.

Bien qu’elle exige des partenaires internationaux qu’ils aillent au-delà de leurs pratiques habituelles en augmentant les niveaux et la prévisibilité de l’aide, cette stratégie reconnaît toutefois que nous ne partons pas de zéro L’Union européenne en particulier continue de fournir des niveaux importants de soutien par le biais de divers mécanismes et programmes Que ce soit dans sa vision ou dans les modalités de sa mise en œuvre, la stratégie doit veiller à garantir l’optimisation des ressources allouées. La définition du processus de stabilisation selon la Nouvelle façon de travailler offre la possibilité de réduire les besoins en aide humanitaire année après année, en engageant des processus de relèvement rapide et de développement parallèles, susceptibles de promouvoir des moyens de subsistance durables et d’améliorer la résilience à l’avenir.

La crise du lac Tchad constitue un défi complexe et pressant. Seule une approche régionale fondée sur un cadre continental et international inclusif des efforts de l’ensemble des parties prenantes est à même de fournir les moyens nécessaires à sa resolution.

 

Posted by Limi Mohammed

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