I. INTRODUCTION
1. Le Conseil se souviendra que, lors de sa 416ème réunion, tenue au niveau des chefs d’État et de Gouvernement, le 29 janvier 2014, le Groupe de haut niveau de l’Union africaine (UA) pour l’Égypte a soumis un rapport intérimaire sur la situation en Égypte [PSC/AHG/4.(CDXVI)]. De son côté, le Conseil, ayant examiné ledit rapport, a adopté le communiqué PSC/AHG/COMM.3(CDXVI). Dans ce communiqué, le Conseil a, entre autres:
(i) réitéré la détermination de l'UA, conformément à son devoir et à ses responsabilités envers tous ses États membres, à aider l’Égypte à relever les défis auxquels elle est confrontée dans l’esprit du panafricanisme et de la recherche de solutions africaines aux problèmes africains;
(ii) noté les mesures prises par les autorités intérimaires dans le cadre de la mise en œuvre de la Feuille de route pour la transition qu’elles ont articulée le 3 juillet 2013, notamment l'adoption, par référendum tenu les 14 et 15 janvier 2014, d'une nouvelle Constitution et la décision de tenir des élections présidentielles suivies d’élections législatives dans un délai de 60 jours, ainsi que les autres développements survenus dans le pays au cours des mois précédents;
(iii) exhorté les autorités intérimaires à assurer la participation la plus large possible aux prochaines élections, ainsi que leur organisation dans les conditions requises de liberté, de régularité et de transparence, conformément aux instruments pertinents de l'UA, notamment la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance. À cet égard, le Conseil a demandé à la Commission d'interagir avec les autorités intérimaires égyptiennes sur les meilleures dispositions à prendre pour permettre à l'UA de suivre et d’observer le processus électoral sur la base des instruments pertinents de l'UA, y compris l'envoi de missions d'observateurs à long et à court termes;
(iv) exprimé sa disposition, conformément aux instruments pertinents de l’UA, à prendre les décisions nécessaires, sur la base d'un rapport qui sera soumis au Conseil par le Groupe de haut niveau;
(v) réitéré la conviction de l'UA sur la nécessité de la réconciliation entre toutes les parties prenantes égyptiennes, afin de faire face, de manière durable, aux défis multidimensionnels auxquels leur pays est confronté, ainsi qu’à leurs causes sous-jacentes. À cet égard, le Conseil a réitéré son appel à toutes les parties prenantes égyptiennes pour qu’elles rejettent la violence, ainsi que sa ferme condamnation de tous les actes terroristes qu’aucune circonstance ne saurait justifier. Le Conseil a également souligné la nécessité du respect des droits de l'homme et de l’État de droit, conformément aux instruments pertinents de l'UA;
(vi) exprimé son plein appui au Groupe de haut niveau pour l'Égypte et lui a demandé de poursuivre activement la mise en œuvre de son mandat, et a formé l’espoir de l’Égypte d’une coopération continue, afin de permettre au Groupe d’entreprendre, autant que de besoin, de nouvelles missions d'évaluation et de consultations en Égypte pour suivre les progrès accomplis sur la voie de la restauration de l'ordre constitutionnel et en faire rapport au Conseil; et
(vii) demandé au Groupe de haut niveau de préparer et de lui soumettre, en temps utile, un rapport final sur la mise en œuvre de son mandat, y compris une évaluation globale de la situation, les efforts déployés par l’UA et les défis rencontrés, ainsi que des recommandations sur les voies les meilleures pouvant permettre à l’UA, dans le futur, d’améliorer l’efficacité de sa réponse à des situations similaires.
2. Le présent rapport final présente un résumé des développements politiques et autres survenus en Égypte depuis la Révolution de Janvier 2011, et couvre les activités entreprises par le Groupe depuis sa mise en place, notamment ses interactions avec les parties prenantes égyptiennes et internationales. Le rapport se conclut par des observations sur l'évolution de la situation et les interactions du Groupe, ainsi que par des recommandations sur la voie à suivre.
II. HISTORIQUE
3. Le 25 janvier 2011, les Égyptiens sont sortis massivement dans les rues du Caire et d'autres villes du pays, revendiquant du «pain, la liberté et la justice», ainsi que la fin du régime du Président Hosni Moubarak. La date de ces manifestations a été choisie pour coïncider avec la Journée nationale de la Police, en signe de protestations contre la brutalité policière. La confrontation dans les rues entre les forces de sécurité et les manifestants s'est amplifiée et, le 28 janvier 2011, la loi martiale a été proclamée et un couvre-feu a été imposé. Le Gouvernement a aussi bloqué les connexions de téléphonie mobile et les réseaux sociaux sur internet. Le 11 février 2011, le Président Hosni Moubarak a finalement été contraint de démissionner et de remettre le pouvoir au Conseil suprême des Forces armées (SCAF), dirigé par le Maréchal Hussein Tantawi. Le SCAF a dirigé l'Égypte jusqu'au 30 juin 2012, date à laquelle il a remis le pouvoir à M. Mohamed Morsi, qui avait remporté l'élection présidentielle sous la bannière du Parti de la Liberté et de la Justice (FJP), fondé par le mouvement des Frères musulmans.
4. Au cours de la Révolution de 2011, nombre de mesures ont été prises conformément à la Déclaration constitutionnelle du SCAF de mars 2011. Par exemple, la Constitution de 1976 a été partiellement modifiée à la suite d'un référendum tenu le 18 mars 2011, qui a assoupli, entre autres, les conditions d'éligibilité au scrutin présidentiel. L'état d'urgence, qui avait été en vigueur pendant trois décennies, a été partiellement levé à la fin du mois de janvier 2012. Par ailleurs, les préparatifs ont commencé pour la tenue d'élections législatives et présidentielles après la dissolution du Parlement et la suspension de la Constitution. Le FJP et Al-Nour, un parti d'inspiration religieuse plus conservateur, ont pris le contrôle tant de la Chambre basse (le Conseil du Peuple) que de la Chambre haute (Chambre des Représentants) du nouveau Parlement du pays, après avoir remporté la majorité des sièges dans les deux Chambres.
5. Les 23 et 24 mai 2012, les Égyptiens se sont rendus aux urnes pour élire un Président parmi 13 candidats. Aucun des candidats en lice n'ayant obtenu la majorité absolue, un second tour a été organisé le 17 juin 2012 entre l’ancien Maréchal de l’Air Ahmed Shafiq, qui fut le dernier Premier ministre du Président déchu Hosni Moubarak, et Mohamed Morsi, le candidat du FJP. Pour certains Égyptiens, aucun des deux candidats, perçu comme des figures polarisantes, n’était un choix approprié dans le contexte politique d’alors. Une majorité d’Égyptiens - de tous les horizons politiques - pensait que la victoire de Shafiq signifierait un retour à l'ancien régime et allait ainsi à l’encontre de la cause de la Révolution. Pour d'autres, en particulier l’importante minorité copte (chrétienne) et certains intellectuels musulmans, une victoire de Morsi constituerait une menace pour leurs libertés et modes de vie religieux, et ce au regard de leur perception de ??certaines des positions des Frères musulmans.
6. Quelques jours avant le deuxième tour, le SCAF, à travers une Déclaration constitutionnelle complémentaire (SCD), a décidé de dissoudre la Chambre basse du Parlement, se basant pour ce faire sur une décision de la Cour suprême constitutionnelle (SCC) selon laquelle, il était inconstitutionnel de permettre aux partis politiques de présenter des candidats pour les sièges réservés aux indépendants dans l'élection des membres de cette Chambre du Parlement. Le FJP dominant le Parlement dissous, tout semble indiquer que la décision du SCAF avait été prise en prévision de la victoire largement attendue de Morsi, et ce afin de le garder sous contrôle.
7. En effet, à la suite de cette décision, le SCAF a publié une Déclaration constitutionnelle par laquelle il s’est attribué le pouvoir législatif jusqu'à l'élection d'un nouveau Parlement, lui assurant ainsi un droit de veto sur la rédaction de la nouvelle Constitution et une autorité exclusive sur toutes les décisions concernant les Forces armées. Malgré l’existence d’un Comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution, mais contrôlé par le FJP et Al-Nour, en raison de leur domination du Parlement, le SCAF s’est donné la possibilité de mettre en place un nouveau Comité de rédaction de la Constitution, au cas où le premier ne ‘’réussirait’’ pas à produire une Constitution dans un délai raisonnable ou ferait face à une impasse. Le Conseil militaire s’est aussi accordé le pouvoir (partagé avec le Président élu et la SCC) de s'opposer à toutes clauses du projet de Constitution qui ne lui conviendraient pas, en plus de son autorité absolue sur toutes les questions liées à l'Armée, y compris sa direction, son budget et ses structures internes.
8. Finalement, toutefois, et après une élection très compétitive, le candidat du FJP, M. Mohamed Morsi, a été proclamé vainqueur par la Commission électorale présidentielle suprême avec 51,73% des voix, devant le Maréchal Shafiq qui a obtenu 48,24% des voix; Morsi devint ainsi le premier civil et le premier Président directement élu par le peuple de l’histoire de l’Égypte. Le taux de participation a été de 51%. Le nouveau Président a officiellement pris ses fonctions le 30 juin 2012. Mais avec tous les pouvoirs que le SCAF s’est accordé, le Président élu était inévitablement sur ??une trajectoire de collision avec le tout puissant SCAF, d’autant que ses sympathisants réclamaient un «pouvoir réel» pour leur dirigeant.
9. Le 8 juillet 2012, le Président Morsi a publié un décret présidentiel annulant la décision du SCAF relative à la dissolution du Conseil du Peuple, demandant à cet organe de se reconstituer de nouveau. Cependant, une décision du SCC du 10 juillet 2012 a annulé le décret présidentiel, appelant au respect du verdict antérieur. Le lendemain, le Président Morsi a publié une déclaration dans laquelle il s'est engagé à respecter le verdict du SCC, et à initier un dialogue avec toutes les institutions publiques concernées, afin de trouver un moyen de sortir de la crise. Le 12 août 2012, le Président Morsi a mis à la retraite d’office le puissant Ministre de la Défense et Chef du SCAF, le Maréchal Mohamed Hussein Tantawi; le Chef d'État-major, Sami Anan, et plusieurs autres Généraux. Il a également annulé la SCD publiée par le SCAF en juin 2012 et a momentanément transféré à la présidence les pouvoirs que les Généraux avaient assumés, y compris le pouvoir législatif, avant de les re-transférer à la Chambre haute du Parlement après un tollé populaire. La Chambre haute du Parlement, bien que menacée de dissolution, était toujours en place.
10. En outre, dans une Déclaration constitutionnelle (CD) publiée le 22 novembre 2012, le Président Morsi a démis Abdel-Meguid Mahmoud de ses fonctions de Procureur général, au motif qu’il avait des liens avec l'ancien régime; appelé à la révision du procès des auteurs présumés d'actes de violence au cours des 18 jours de manifestations qui ont contraint Moubarak à quitter le pouvoir et qui avaient été acquittés par le Procureur général; prorogé de deux mois le mandat du Comité de 100 membres chargé de la rédaction de la Constitution pour lui permettre d’achever son travail; et mis le Comité à l’abri de toute menace de dissolution au vu des nombreux recours judiciaires qui planaient sur lui. le Président a justifié son action en affirmant qu'elle visait à protéger la Révolution et à rendre justice aux victimes. Cependant, ses adversaires ont protesté contre la décision, y voyant une tentative de soustraire le Président à tout contrôle démocratique. La discorde entre les différents groupes politiques s’en est trouvée approfondie, et la violence qui a suivi a causé des morts et des blessés.
11. Le Comité a fait diligence en achevant la rédaction du projet de Constitution, en l’absence des membres de l'opposition qui l’avaient boycotté au motif qu’ils étaient marginalisés par les deux partis dominants, le FJP au pouvoir et son allié, le Parti Al-Nur. Les critiques ont également affirmé que le projet contenait nombre d'ambiguïtés et de failles susceptibles d’être facilement utilisées de manière abusive. Convaincu que l’adoption rapide de la nouvelle Constitution désamorcerait la tension, et tirant avantage d’une disposition juridique contenue dans la Déclaration constitutionnelle de 2011 publiée par le SCAF selon laquelle la nouvelle Constitution doit être soumise à un référendum, deux semaines après l’achèvement de sa rédaction, le Président Morsi a annoncé, le 1er décembre, qu’un référendum aurait lieu le 15 décembre 2012. Cependant, plutôt que de mettre fin à la tension, cette annonce a conduit à une amplification des manifestations non seulement contre la Déclaration constitutionnelle, mais également contre le projet de Constitution lui-même et le référendum envisagé. La manifestation qui a suivi a entrainé plusieurs morts et blessés et l’incendie des bureaux du FJP par les manifestants de l'opposition dans plusieurs villes du pays. Certains des proches collaborateurs du Président Morsi ont démissionné en raison de cette crise et de la controverse suscitée par la Déclaration constitutionnelle, cependant que le Ministre de la Justice a publiquement exprimé ses réserves sur la Déclaration.
12. Le 8 décembre 2012, le Président, sur la base des recommandations faites par quelque 40 dirigeants politiques et religieux, a organisé un «dialogue national» sur la crise. À la suite de cette réunion, le Président Morsi a abrogé toutes les dispositions contestées de sa Déclaration du 22 novembre, à l’exception de celle relative à la demande de certaines composantes de l’opposition de reporter la date du référendum constitutionnel. De son côté, la Présidente de la Commission de l’UA a, le même jour, publié un communiqué dans lequel elle a appelé toutes les parties prenantes égyptiennes à faire preuve de la plus grande retenue et à œuvrer en faveur d'un consensus dans l'intérêt suprême de la nation. Elle a souligné l'impératif du dialogue et la disposition de l'UA à appuyer un tel processus de toute manière qui serait jugée appropriée.
13. Le référendum s’est finalement déroulé en deux tours, le 15 et 22 décembre 2012. Revenant sur leur position antérieure de boycotter le référendum, les mouvements d'opposition, regroupés sous la bannière du Front de salut national (FSN), ont décidé de participer au référendum, appelant à voter «non». Cependant, et malgré les déclarations de certains membres de l'opposition affirmant que le vote avait été entâché d'irrégularités, le Comité suprême des élections a réfuté ces allégations et annoncé les résultats définitifs le 25 décembre 2012, proclamant que la Constitution avait été adoptée avec près de 63,8 pour cent des voix et un taux de participation de 32,9 pour cent. Peu de temps après, le Président Morsi a signé la Constitution. Dès lors, les protestations de l'opposition se sont focalisées sur la Constitution adoptée, certains demandant sa révision immédiate, voire même son annulation. Dans un communiqué de presse publié le 26 décembre 2012, la Présidente de la Commission de l’UA a renouvelé ses appels précédents à toutes les parties prenantes égyptiennes pour qu’elles s'engagent dans un dialogue constructif dans un esprit de respect mutuel et de tolérance, afin de surmonter les divisions qui sont apparues au cours de l'élaboration de la Constitution et de renforcer le processus démocratique dans leur pays.
14. À la fin de janvier 2013, des manifestations massives ont eu lieu en réaction aux condamnations infligées à des personnes accusées d’avoir été à l’origine d'affrontements entre supporters de deux clubs de football, prenant rapidement une dimension politique. Le 28 janvier 2013, le Président a proclamé l'état d'urgence dans les régions affectées par ces soulèvements. Le même jour, il a appelé à un dialogue national. Mais l'opposition, y compris le FNS, a refusé de participer à la réunion proposée, sauf si certaines conditions étaient remplies. Entre autres, il était demandé au Président Morsi d’accepter la responsabilité de l'effusion de sang et de former un Gouvernement de salut national. Le 31 janvier 2013, l'Institution Al-Azhar a rassemblé différentes figures de l'opposition, du parti au pouvoir et de l'Église copte pour un dialogue national. Le 1er février 2013, la Présidente de la Commission a publié un communiqué dans lequel elle a encouragé cette initiative, et s’est félicitée des résolutions auxquelles sont parvenus les participants, en particulier le rejet de la violence et la protection des biens publics et privés, ainsi que l’engagement en faveur du dialogue national.
15. Nonobstant ce qui précède, la confrontation entre le Gouvernement et les forces de l'opposition, regroupées au sein du FNS, a continué à paralyser la gestion du pays. Avec la poursuite des manifestations au Caire en février 2013, certains manifestants ont explicitement appelé l'Armée à intervenir et à prendre le pouvoir. Le 28 avril 2013, un mouvement de jeunes appelé "Tamarood" (rébellion) a commencé à recueillir des signatures afin de démettre le Président Morsi de ses fonctions avant le 30 juin 2013, jour anniversaire de son arrivée au pouvoir. Ils ont appelé à des manifestations dans toute l'Égypte, en particulier devant le Palais présidentiel au Caire. Cette initiative a été soutenue par le FNS, le mouvement des Jeunes du 6 Avril et le Parti pour une Égypte forte. Entre temps, le 11 mars 2013, le Groupe des Sages de l’UA a fait part aux autorités égyptiennes de son intention d’entreprendre une mission en Égypte, dans le cadre de son appui aux efforts des États membres visant à consolider la démocratie et l’Etat de droit. Il n’y a pas eu de réponse à cette note.
16. Le vendredi 28 juin 2013, les manifestations contre le Président Morsi se sont amplifiées dans toute l'Égypte, en particulier au Caire, à Alexandrie et à Assouan, avant celles massives prévues par Tamarod pour le 30 juin. Les partisans de Morsi ont lancé des contre-manifestations à la mosquée de Rabia Al- Adawiya, à Nasr City, au Caire. Le 1er juillet 2013, dans un contexte marqué par une escalade de la situation sur le terrain, le Général Abdul Fatah Al-Sissi, alors Ministre de la Défense, a lancé un ultimatum au Gouvernement et à l'opposition pour qu’ils règlent leur différend, sous peine de voir l’Armée intervenir. Cet appel a galvanisé davantage les manifestants et scellé le sort de la présidence Morsi. Le même jour, des millions de manifestants anti-Morsi se sont rassemblés sur la place Tahrir et devant le Palais présidentiel. D'autres manifestations ont eu lieu dans les villes d'Alexandrie, de Port-Saïd et de Suez. Tamarood a accordé au Président Mohammed Morsi un délai courant jusqu'au 2 juillet 2013, à 17h00, pour démissionner ou faire face à une campagne de désobéissance civile. Le Général Al-Sissi a publié une autre déclaration, menaçant d'intervenir dans la crise politique, au cas où le Président Morsi et les autres hommes politiques ne répondraient pas aux manifestations et demandes populaires dans un délai de 48 heures, notant que ces demandes comprenaient un appel à la démission du Président.
17. Dans la soirée du 2 juillet 2012, le Président Morsi s’est adressé à la Nation dans un discours télévisé, insistant sur le fait qu'il était le dirigeant légitime du pays et que toute tentative pour le démettre de force pourrait plonger l’Égypte dans le chaos. Le lendemain soir, le Général Al-Sissi a annoncé le renversement du Président Morsi et présenté une Feuille de route en dix points pour lancer la transition vers un régime démocratique. La Feuille de route comprenait les mesures suivantes visant à parvenir à «une société égyptienne forte et unie qui n’exclut aucune de ses composantes et tendances et met fin à la situation de conflit et de division»:
(a) la suspension de la Constitution;
(b) la prestation de serment par le Président du SCC, M. Adly Mansour, en tant que Président par intérim;
(c) la tenue d'élections présidentielles anticipées et de nouvelles élections législatives;
(d) la gestion du pays à travers des Déclarations constitutionnelles prises par le Président par intérim pendant la période de transition en lieu et place de la Constitution;
(e) la formation d'un Gouvernement national fort et capable, constitué de technocrates, pour gérer la période de transition;
(f) la création d’un Comité inclusif composés de membres expérimentés, afin de réviser et de proposer des amendements à la Constitution de 2012;
(g) l'approbation d’un projet de loi électorale et le début de la préparation des élections législatives;
(h) l'élaboration d'un Code de déontologie des médias qui garantisse la liberté des médias, ainsi que leur impartialité et crédibilité; et
(i) la création d'une Commission de réconciliation nationale crédible et à large assise.
18. Alors que des millions de manifestants anti-Morsi ont salué cette action, d'autres ont critiqué l'intervention de l'Armée dans la crise politique, et l’ont qualifiée de coup d'État militaire, non seulement en raison de la manière par laquelle le Président avait été renversé, mais également en raison de son remplacement par le Président de la Cour suprême, alors que même que cette possibilité n'est pas prévue par la Constitution. Le Général Al-Sissi est resté Ministre de la Défense dans le nouveau Gouvernement.
19. Le 14 août 2013, les autorités intérimaires égyptiennes ont décidé de disperser de force les partisans des Frères musulmans qui protestaient contre le renversement du Président Morsi depuis six semaines, à travers des rassemblements à Rabaa Adawiyah et à Al-Nahda, au Caire. L'opération a causé des centaines de morts et de blessés, cependant que des milliers d'autres personnes étaient incarcérées. Le même jour, par protestation contre les mesures prises par les autorités contre les manifestants, le Vice-Président par intérim, Mohamed El Baradei, a démissionné. Les autorités intérimaires ont proclamé l’état d'urgence pour une durée d’un mois; celui-ci a été prolongé de deux mois et a expiré le 12 novembre 2013.
20. Réuni le même jour, le Conseil, à la suite d’une communication du Groupe de haut niveau, a adopté un communiqué de presse dans lequel il a noté avec préoccupation qu'en dépit des initiatives prises par les acteurs égyptiens et différents membres de la communauté internationale, la situation sur le terrain restait tendue, nécessitant en conséquence un dialogue constructif entre les parties, en vue d’assurer la stabilité à long terme de l'Égypte, ainsi que la cohésion et la prospérité de son peuple. Le Conseil a fermement condamné les actes de violence qui ont conduit, le 14 août 2014, à la perte de nombreuses vies humaines au Caire et ailleurs en Égypte, et a exhorté tous les acteurs égyptiens, en particulier les autorités intérimaires, à faire preuve de la plus grande retenue. Le Conseil a encouragé le Groupe de haut niveau à entreprendre, le plus tôt possible, une nouvelle mission en Égypte.
21. Le 24 novembre 2013, les autorités égyptiennes ont adopté une loi sur les manifestations publiques qui accorde le Ministère de l'Intérieur de larges pouvoirs discrétionnaires et définit vaguement les conditions dans lesquelles les manifestants peuvent être reconnus coupables de violations de la loi. La loi impose également une interdiction absolue sur les manifestations et les rassemblements publics à "caractère politique" dans les lieux de culte.
22. Le 25 décembre 2013, et dans un contexte marqué par l’accroissement des attaques terroristes, y compris dans la Péninsule du Sinaï et au Caire, ainsi que des attaques dirigées contre les églises, les autorités ont pris une décision proclamant les Frères musulmans «organisation terroriste», confisquant tous ses biens et considérant comme acte criminel toute association avec eux. Depuis janvier 2014, nombre d’autres attaques ont eu lieu, visant des commissariats de police, des campus universitaires et des sites touristiques. Les Frères musulmans ont rejeté les accusations formulées à leur encontre par le Gouvernement.
23. Le 24 mars 2014, un tribunal à Minya, au sud du Caire, a condamné à mort 529 membres des Frères musulmans après seulement deux séances au cours desquelles les avocats des prévenus se seraient plaints de l‘impossibilité pour eux de défendre leurs clients. Cependant, le Grand Mufti du pays, à qui toutes les condamnations à mort sont soumises pour approbation finale, a commué certaines de ces condamnations à la détention à perpétuité. Le 28 avril 2014, le même tribunal a condamné à mort 683 partisans présumés des Frères musulmans, y compris le chef spirituel du Mouvement qui est actuellement incarcéré. Dans un communiqué publié le 29 avril 2014, la Haute Commissaire des Nations unies pour les Droits de l'Homme, Navi Pillay, a condamné l'imposition de la peine de mort, soulignant qu’il était scandaleux que, pour la deuxième fois en deux mois, la sixième chambre de la Cour pénale d’Al-Minya ait condamné à mort un grand nombre de prévenus après des procès bâclés. La Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples a aussi condamné les peines de mort massives qui ont été prononcées. Par ailleurs, des dirigeants du Mouvement des Jeunes du 6 Avril ont également été arrêtés et traduits en justice. Finalement, il convient de noter que 20 journalistes d’Al-Jazeera sont traduits en justice depuis la fin du mois de février 2014, au motif qu’ils soutiennent les Frères musulmans à travers la diffusion d’« informations tendancieuses », ce que les journalistes ont nié.
24. Les 14 et 15 janvier 2014, un référendum constitutionnel a été organisé. Le processus visant à amender la Constitution suspendue de 2012 a démarré avec la mise en place d’un Comité de 10 experts juristes, qui a achevé ses travaux le 20 août 2013. Par la suite, un Comité de 50 personnalités, dont la mise en place a été annoncée le 1er septembre 2013 et qui a été présidé par M. Amr Moussa, ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Secrétaire général de la Ligue des États arabes, a apporté des projets d’amendements à la Constitution. La Constitution a été adoptée par référendum, avec 98,13% des voix et un taux de participation de 38,6%, un chiffre contesté par les Frères musulmans qui avaient lancé un appel au boycott. La Constitution affirme le pluralisme politique et partisan du système politique, qui est basé sur l’alternance pacifique et la séparation des pouvoirs, ainsi que sur le respect des droits de l'homme et des libertés. Elle affirme l'égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels; respecte la dignité des citoyens et garantit la liberté de la presse. Dans le même temps, la Constitution donne plus de prérogatives à l'Armée. Par exemple, elle prévoit que le Ministre de la Défense est nommé avec l’approbation du SCAF pour les deux prochains mandats présidentiels, que seul le montant total du budget des Forces armées est mentionné dans le budget de l'État et que les civils peuvent être jugés par des tribunaux militaires pour des infractions contre les militaires ou les installations militaires.
25. À la fin du mois d’avril 2014, le Général Al-Sissi, promu entretemps Maréchal, a démissionné du Gouvernement et de l'Armée et a annoncé sa candidature aux élections présidentielles. Peu de temps après, la Commission électorale a arrêté les dates des élections présidentielles pour les 25 et 26 mai 2014. Avec un seul autre candidat en lice, le chef du Parti populaire actuel, Hamdeen Sabahi, le Maréchal Al-Sissi a été proclamé vainqueur du scrutin avec près de 96,7% des voix. L’élection a été prolongée d’un troisième jour, imprévu, en raison du très faible taux de participation des 54 millions d'électeurs inscrits du pays. Le taux de participation finalement annoncé a été de 47,5% des électeurs inscrits.
26. L'UA a dépêché une Mission d'observation électorale, afin de suivre le déroulement du scrutin présidentiel. Dans sa déclaration préliminaire, la Mission a conclu que l'élection s’est tenue dans un environnement qui a permis aux électeurs de participer effectivement au processus et d'exercer leur droit de vote, et qu’elle s’est déroulée dans un environnement stable, pacifique et régulier. Dans le même temps, la Mission a noté que l'environnement pré-électoral avait été largement influencé par la loi sur les manifestations publiques qui a compromis la liberté d'expression et laissé une marge limitée aux partis d'opposition pour exprimer leurs griefs par peur d’être criminalisés. Pour sa part, la Mission d'observation électorale de l’Union européenne (UE) a relevé ce qui suit: «Il y avait un climat général de liberté d'expression limitée, qui se serait traduit par l'autocensure des journalistes [...]. En tant qu’élément du cadre juridique de transition, la LEP [Loi sur l’élection présidentielle] a offert une base adéquate pour la conduite de l'élection présidentielle, mais elle a été, à certains égards, en deçà des normes internationales applicables aux élections démocratiques».
III. RÉACTION DE L’UA AUX ÉVÈNEMENTS DU 3 JUILLET 2013 ET MISE EN PLACE DU GROUPE DE HAUT NIVEAU DE L’UA POUR L’ÉGYPTE
27. Lors de sa réunion 384ème tenue le 5 juillet 2013, le Conseil a examiné la situation en Égypte. Dans le communiqué adopté à l'issue de ses délibérations, le Conseil a rappelé les instruments pertinents de l'UA sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement, notamment la Déclaration de Lomé de juillet 2000 et la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance de janvier 2007, qui prévoient la mise en œuvre automatique de mesures spécifiques à chaque fois qu'un changement anticonstitutionnel de Gouvernement se produit, et a réitéré la condamnation et le rejet par l'UA de toute prise illégale du pouvoir. Le Conseil a affirmé que le renversement du Président démocratiquement élu, Mohamed Morsi, n’était pas conforme aux dispositions pertinentes de la Constitution égyptienne et tombait, par conséquent, sous le coup de la définition des changements anticonstitutionnels de Gouvernement telle que contenue dans les instruments pertinents de l’UA. Aussi le Conseil a-t-il décidé de suspendre la participation de l'Égypte aux activités de l'UA jusqu'au rétablissement de l'ordre constitutionnel.
28. Le Conseil a appelé toutes les parties prenantes égyptiennes à faire preuve d’un esprit de dialogue et de tolérance mutuelle et à s'abstenir de tout acte de violence et de vengeance. Il les a encouragés à persévérer sur la voie de la réconciliation nationale de façon à contribuer à la préparation harmonieuse des élections devant conduire à la restauration de l’ordre constitutionnel. Le Conseil a exhorté les nouvelles autorités égyptiennes à initier, sans délai, des consultations inclusives en vue de l’adoption d’un calendrier consensuel pour l’organisation d’élections libres, régulières et transparentes. Le Conseil a exprimé la solidarité de l'UA avec le peuple égyptien et son engagement à appuyer de toutes les façons possibles ce processus et à soutenir les efforts à long terme pour résoudre les problèmes structurels auxquels l'Égypte est confrontée. Le Conseil s’est félicité de la décision de la Présidente de la Commission de dépêcher une équipe de hautes personnalités en Égypte, aux fins d’interagir avec les autorités au pouvoir et les autres parties prenantes égyptiennes. Il a lancé un appel aux partenaires de l'UA, tant bilatéraux que multilatéraux, pour qu’ils apportent leur plein appui aux efforts de l'UA et œuvrent en faveur d’une approche coordonnée de la situation, y compris la mobilisation d’une aide économique et financière qui soit à la mesure des besoins de l’Égypte et des défis auxquels le pays est confronté.
29. Le 8 juillet 2013, la Présidente de la Commission a mis en place le Groupe de haut niveau de l'UA pour l'Égypte composé de M. Alpha Oumar Konaré, ancien Président de la République du Mali et ancien Président de la Commission de l'UA, en qualité de Président du Groupe; de M. Festus Mogae Gontebanye, ancien Président de la République du Botswana ; et de M. Dileita Mohamed Dileita, ancien Premier ministre de la République de Djibouti. Le Groupe a été chargé d’« interagir avec les autorités au pouvoir et les autres parties prenantes égyptiennes, afin d’établir un dialogue politique constructif visant à faciliter la réconciliation nationale, ainsi que de contribuer aux efforts qu’elles déploient dans le cadre d’une transition devant conduire au retour rapide à l'ordre constitutionnel, à la préservation des acquis de la Révolution de janvier-février 2011 et à la consolidation du processus démocratique dans leur pays ».
IV. RÉPONSE DU GOUVERNEMENT ÉGYPTIEN AU COMMUNIQUÉ DU CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENTS CONNEXES SUBSÉQUENTS
30. Dans une note verbale datée du 9 juillet 2013 adressée à la Commission, les autorités intérimaires égyptiennes ont rejeté le communiqué du Conseil, indiquant qu'il était fondé sur une interprétation erronée de « la Révolution populaire survenue, le 30 juin 2013, en Égypte ». Les autorités ont également rejeté « la proposition de créer un Forum consultatif international » tel que convenu par le Conseil.
31. L’Égypte a également réagi au communiqué de presse publié par le Conseil lors de sa 395ème réunion tenue le 13 septembre 2013, à la suite d’une communication du Groupe de haut niveau pour l’Égypte, après la visite qu’il a entreprise en Égypte du 27 août au 4 septembre 2013. Dans le communiqué de presse publié à cette occasion, le Conseil a exprimé sa gratitude aux autorités égyptiennes pour avoir facilité la visite du Groupe, ainsi que ses consultations avec diverses parties prenantes égyptiennes. Il a également salué les mesures prises par le Groupe pour interagir avec les acteurs internationaux concernés. Le Conseil a encouragé le Groupe à poursuivre ses efforts, indiquant attendre avec intérêt le rapport sur la mise en œuvre de son mandat. Le Conseil a rappelé ses communiqués et communiqués de presse antérieurs sur la situation en Égypte, soulignant, à cet égard, la nécessité pour toutes les parties de rejeter la violence sous toutes ses formes et de faire prévaloir l'esprit de dialogue, l'inclusivité et la réconciliation nationale.
32. Par note verbale datée du 23 septembre 2013, l’Ambassade d’Égypte à Addis Abéba a fait part de la préoccupation des autorités intérimaires face à l’approche de la situation par l’UA, malgré ‘’sa disposition à interagir avec elle et sa coopération sans réserve avec le Groupe’’. En particulier, les autorités intérimaires ont noté avec regret que le communiqué du Conseil du 13 septembre 2013 a ignoré un certain nombre de faits essentiels, notamment les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Feuille de route consensuelle pour la période de transition et l’absence de condamnation de la tentative d’assassinat du Ministre de l’Intérieur, le 5 septembre 2013. En outre, les autorités intérimaires ont réitéré leur rejet des mesures et actions visant à rechercher des solutions à la situation en Égypte au-delà du cadre africain, ainsi que leur engagement à bâtir les fondements d’une véritable démocratie représentative sans exclusive, à condition que tous les acteurs politiques concernés rejettent la violence. Les autorités intérimaires, tout en indiquant attendre avec intérêt le soutien de l’UA, ont affirmé que le maintien de la suspension de la participation de l’Égypte aux activités de l'UA aurait un impact négatif sur l'Union, ainsi que sur les intérêts du continent dans son ensemble.
V. ACTIVITÉS DU GROUPE
33. Après sa mise en place, le Groupe de haut niveau a tenu sa première réunion à Addis Abéba, le 16 juillet 2013. Cette réunion a été l'occasion pour la Commission d'informer les membres du Groupe de haut niveau leur mandat et de discuter de leur programme de travail, y compris une visite en Égypte. La réunion a également permis de discuter des modalités d'interaction avec les partenaires internationaux, notamment la Ligue des États arabes, en vue de faciliter un soutien coordonné et efficace à une transition inclusive devant conduire au retour rapide à l'ordre constitutionnel.
34. Le Groupe avait prévu de se rendre au Caire du 17 au 25 juillet 2013, peu de temps après sa réunion inaugurale. En conséquence, le 11 juillet 2013, la Commission a adressé une note verbale à l'Ambassade d’Égypte à Addis Abéba pour l'informer de la visite envisagée. Dans une note verbale en date du 15 juillet 2013, l'Ambassade a indiqué à la Commission « qu’en prélude à la visite proposée, le Gouvernement de l'Égypte souhaiterait discuter de toutes les questions liées au mandat, aux objectifs et aux méthodes de travail du Groupe proposé». Par la suite, le 22 juillet 2013, une Envoyée spéciale de la présidence égyptienne a rencontré la Présidente de la Commission, ainsi que le Commissaire à la Paix et à la Sécurité, au siège de la Commission de l'UA, à Addis Abéba. Lors de la réunion avec la Présidente de la Commission, l'Envoyée spéciale lui a fait part de la position des autorités intérimaires égyptiennes et de leur mécontentement à la suite de la décision du Conseil de suspendre la participation de l'Égypte aux activités de l'UA. L'Envoyée a également demandé des précisions sur les termes de référence et le mandat du Groupe de haut niveau de l'UA pour l'Égypte. La Présidente de la Commission a apporté les clarifications. À la fin de la séance, la Présidente et l'Envoyée spéciale ont convenu que le Groupe de haut niveau se rendrait en Égypte pour rencontrer les parties prenantes égyptiennes et informer, par la suite, le Conseil du déroulement et des résultats de sa mission. Lors d'une réunion avec le Commissaire à la Paix et à la Sécurité, l'Envoyée spéciale égyptienne a présenté « la Feuille de route du Gouvernement pour la période de transition», et discuté des modalités et du calendrier de la visite du Groupe de haut niveau.
35. Depuis sa mise en place, le Groupe s'est rendu en Égypte à trois reprises: du 27 juillet au 5 août, du 28 août au 5 septembre 2013 et du 5 au 10 avril 2014, respectivement. La deuxième visite, en particulier, a eu lieu dans un contexte marqué par une certaine déception des autorités intérimaires égyptiennes, née du maintien de la suspension de la participation de leur pays aux activités de l’UA, alors qu’elles espéraient que le Groupe, après sa première visite, recommanderait la levée de la suspension de l’Égypte. En fait, l’entendement des autorités égyptiennes, tel qu’articulé par le Ministre des Affaires étrangères à l’issue de la première visite du Groupe, était que celle-ci serait aussi la dernière et qu’elle avait pour objectif de permettre au Groupe de recueillir les informations nécessaires à l’intention du Conseil, en vue de lui permettre de lever la suspension de l’Égypte.
36. Au cours de ses trois visites, le Groupe a interagi avec diverses parties prenantes égyptiennes, y compris le Président par intérim Adly Mansour, le Vice-Président d’alors Mohammed El Baradei, l’ancien Premier ministre par intérim Hazem el-Beblawi, le Vice-Premier ministre par intérim et Ministre de la Défense, le Général Abdel Fattah Al-Sissi, le Ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmy, le Ministre de la Justice, Adel Abdel Hamed, et le Ministre de la justice transitionnelle et de la Réconciliation nationale, Amin El Mahdi. Le Groupe a également rencontré le Mouvement Tamarood (rebelle), le Mouvement du 6 Avril, le Conseil national des Femmes, le Conseil national des Droits de l'Homme, le Conseil égyptien des Relations étrangères, ainsi que des intellectuels, des écrivains et des hommes d’affaires. En outre, le Groupe a rencontré le Président Mohamed Morsi, au cours de sa première visite. Le Groupe s’est également rendu au quartier Al-Rabaa Adawiya au Caire, alors lieu d'un grand rassemblement de protestation des partisans du Président Mohamed Morsi. Le Groupe a aussi rencontré des représentants de partis politiques, y compris ceux opérant sous l'égide du Parti Wafd, un Parti politique nationaliste et libéral, le Parti Al-Nour, ainsi que des représentants des Frères musulmans, et des groupements et personnalités qui leur sont proches. En outre, le Groupe a rencontré le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Nabil Elaraby. Il s'est entretenu avec les Ambassadeurs africains et européens accrédités en Égypte. Il a également rencontré de hautes personnalités égyptiennes, comme l'ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Amr Moussa. Au cours de sa troisième visite, le Groupe s’est entretenu avec le nouveau Premier ministre par intérim, Ibrahim Mahlab. En outre, le Groupe a rencontré le Président de la Commission électorale nationale, le Maréchal Al-Sissi, M. Hamdeen Sabahi, candidat à l'élection présidentielle de mai 2014, et des représentants des partis politiques.
37. Il convient de rappeler qu’à la suite de sa deuxième visite, le Groupe comptait prendre certaines mesures de suivi. C’est dans ce contexte que le 20 septembre 2013, le Groupe, à travers une note verbale de la Commission adressée à l'Ambassade d'Égypte à Addis Abéba, a demandé que, dans le cadre du suivi de ses précédentes visites en Égypte, l'ancien Premier ministre Dileita Mohamed Dileita puisse se rendre au Caire pour rencontrer le Grand Imam d'Al-Azhar et le Patriarche de l'Église orthodoxe copte, ainsi que le Président du Conseil national des Droits de l'Homme. Le 2 octobre 2013, les autorités égyptiennes ont informé la Commission qu’«il ne sera pas possible pour le Gouvernement de l'Égypte d’organiser les visites sollicitées», et ont proposé que « les personnalités précitées soient contactées par téléphone ».
38. Par la suite, le 14 octobre 2013, le Groupe, à travers une verbale de la Commission, a exprimé le souhait, dans un esprit de transparence et de coopération, que son Président puisse se rendre au Caire, pour informer les autorités intérimaires égyptiennes des visites que le Groupe a entreprises aux Émirats Arabes Unis, au Tchad, au Qatar et en Turquie. La visite devait aussi être l’occasion pour le Président du Groupe d’être informé par les autorités égyptiennes de l'évolution de la situation dans leur pays et de celle de leurs efforts s’agissant de la transition en cours. Le 28 octobre 2013, l'Ambassade d'Égypte a envoyé une note verbale à la Commission dans laquelle, tout en réitérant l'appréciation de l'Égypte pour les efforts déployés par le Groupe, elle a invité celui-ci « à informer l'Ambassade d'Égypte à Addis Abéba de ses récentes activités et à solliciter, par correspondance avec les parties prenantes égyptiennes concernées, toutes informations additionnelles qu'il jugerait nécessaires à la finalisation du rapport envisagé ».
39. Dans le cadre de son mandat, le Groupe a également consulté les parties prenantes internationales. Du 9 au 12 septembre 2013, deux de ses membres, l'ancien Président Festus G. Mogae et l’ancien Premier ministre Dileita Mohamed Dileita, se sont rendus aux Émirats Arabes Unis, où ils ont eu des consultations avec le Prince héritier, Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, et le Ministre des Affaires étrangères, Sheikh Abdullah bin Zayed Al Nahyan. Pour sa part, le Président du Groupe, Alpha Oumar Konaré, s'est rendu au Tchad du 15 au 17 septembre 2013, où il s’est entretenu avec le Président Idriss Déby Itno, en sa qualité de Président en exercice de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Du 17 au 19 septembre 2013, le Président du Groupe s'est rendu au Qatar, où il a eu des consultations avec l'Émir du Qatar, Hamad bin Khalifa Al Thani, et le Ministre d'État aux Affaires étrangères, Dr. Khalid Bin Mohammad Al Attiyah. Du 5 au 9 octobre 2013, le Président Konaré et l'ancien Premier ministre Dileita Mohamed Dileita se sont rendus en Turquie, où ils ont rencontré le Président Abdullah Gül, le Premier ministre Recep Tayyip Erdo?an et le Ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Du 29 novembre au 2 décembre 2013, le Président Konaré s'est rendu à Paris pour des consultations avec le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf. Le 27 janvier 2014, l’ancien Président Festus Mogae et l’ancien Premier ministre Dileita Mohamed ont eu des entretiens avec le Président Yoweri Museveni d’Ouganda, Président en exercice du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA). Le 11 mai 2014, le Président Konaré s’est rendu au Qatar, où il a eu des consultations avec le Ministre d’État aux Affaires étrangères, Dr. Khalid bin Mohammad Al Attiyah.
40. Le Groupe comptait également se rendre au Koweït et en Arabie Saoudite pour des consultations avec les autorités compétentes de ces pays. L'Ambassade du Koweït à Addis Abéba a indiqué à la Commission que la date proposée n'était pas appropriée, recommandant que la visite ait lieu à une date ultérieure. Pour sa part, l'Ambassade d'Arabie Saoudite, tout en exprimant son appréciation des efforts de l'UA, a souligné que ce qui se passait en Égypte était une affaire intérieure.
41. Des efforts ont également été déployés pour interagir avec l'Union européenne (UE). Dans une lettre adressée à la Haute Représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, le 17 août 2013, la Commission de l’UA a indiqué que le Président du Groupe était prêt à se rendre à Bruxelles pour rencontrer la Haute Représentante et d'autres responsables de l'UE, afin de procéder à des échanges de vues avec eux et d'identifier des mesures concrètes pouvant favoriser une collaboration et une coordination efficace. Dans cette lettre, la Commission a également sollicité le soutien de l'UE aux efforts et initiatives de l'UA. Il n'y a pas eu de réponse officielle à la lettre, et aucune mission n'a été entreprise à Bruxelles.
42. Outre les interactions avec les parties prenantes égyptiennes et internationales, le Groupe a entrepris nombre d’autres activités. Du 12 au 14 août 2013, le Groupe s'est réuni à Addis Abéba pour évaluer les résultats de sa première visite en Égypte et ceux de ses consultations avec les différentes parties prenantes et, sur cette base, convenir des prochaines étapes de la mise en œuvre de son mandat. Le Groupe a saisi cette occasion pour rencontrer le Premier ministre Hailemariam Desalegn de l'Éthiopie, alors Président en exercice de l’UA, afin de l’informer de ses activités. Le Groupe a également rencontré le Vice-Président de la Commission, Erastus Mwencha, au nom de la Présidente de la Commission, Dr Nkosazana Dlamini-Zuma, pour discuter de la situation en Égypte et des efforts de l’UA. Le 14 août 2013, le Groupe de haut niveau a fait une communication au Conseil sur l'évolution de la situation en Égypte.
43. Le 27 août 2013, à la veille de sa seconde visite en Égypte, le Groupe a rencontré la Présidente de la Commission pour lui faire le point de ses activités et procéder à un échange des vues sur sa visite alors imminente. Du 26 au 28 novembre 2013, le Groupe s’est réuni à Addis Abéba, pour examiner la situation en Égypte et déterminer des prochaines étapes à envisager dans l’accomplissement de son mandat. Le Groupe a identifié les activités à entreprendre. Il s’est, en outre, entretenu avec la Présidente de la Commission, ainsi qu’avec le Commissaire à la Paix et à la Sécurité. Les 16 et 17 janvier 2014, le Groupe s’est réuni à Addis Abéba pour examiner la situation et le rapport intérimaire qu’il comptait soumettre au Conseil.
44. À l'issue de sa troisième visite, le Président du Groupe, l'ancien Président Konaré, a rencontré la Présidente de la Commission, le 11 avril 2014, pour l’informer des résultats des dernières consultations du Groupe. Par ailleurs, le Président du Groupe s’est rendu à Nouakchott, à trois reprises, afin d’informer le Président en exercice de l’Union, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz de Mauritanie, des activités du Groupe et discuter avec lui de la meilleure voie à suivre.
VI. INTERACTION AVEC LES PARTIES PRENANTES ÉGYPTIENNES
45. Les consultations avec les parties prenantes égyptienne au cours des trois visites du Groupe au Caire ont été entreprises aux fins, premièrement, d’expliquer la décision du Conseil du 5 juillet 2013 ; deuxièmement, de donner des précisions sur son mandat et les modalités suivant lesquelles il pourrait aider au rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel; et troisièmement, de recueillir les vues de ses interlocuteurs sur les événements du 3 juillet 2013 et les circonstances qui ont conduit à cette situation, ainsi que sur les prises de position subséquentes du Conseil.
46. Tout au long de ses entretiens avec les parties prenantes égyptiennes, le Groupe a expliqué que la décision du Conseil avait été prise conformément aux instruments pertinents de l'UA et ne devrait pas être perçue comme une mesure punitive visant l’Égypte de manière discriminatoire. Il a également souligné que l’UA n’avait d’autre motivation que d’apporter son appui au processus de transition en Égypte, ayant à l’esprit l’importance que revêt la mobilisation du soutien de l’Afrique pour aider l’Égypte à surmonter ses défis et lui permettre de reprendre sa place au sein de l’UA le plus rapidement possible. Ces précisions étaient d’autant plus importantes que certains des interlocuteurs du Groupe et nombre d’organes de presse et de médias en Égypte ont déformé la décision du Conseil, la décrivant comme inamicale vis-à-vis de l’Égypte et sous-tendue par d’autres considérations.
47. En accord avec les décisions pertinentes du Conseil, le Groupe a souligné la nécessité pour toutes les parties concernées de faire prévaloir l'esprit de dialogue et de tolérance mutuelle et de s'abstenir de tout acte de violence et de vengeance. Il a encouragé les acteurs politiques égyptiens à persévérer sur la voie de la réconciliation nationale. À cet égard, le Groupe a pris note de l'adoption par les autorités intérimaires égyptiennes d'une Feuille de route pour la transition et a suivi étroitement la mise en œuvre de ses différents aspects.
48. Les vues des acteurs égyptiens avec lesquels le Groupe a eu des consultations peuvent être résumées comme suit:
(i) Interactions avec les représentants du Gouvernement égyptien
49. Au cours de ses trois visites, le Groupe a recueilli les vues des autorités intérimaires égyptiennes sur la décision de suspendre la participation de l'Égypte aux activités de l'UA, la nature du changement de Gouvernement du 3 juillet 2013, ainsi que sur la Feuille de route pour la période de transition et sa mise en œuvre, la question de l’inclusivité politique, et d’autres questions connexes:
(a) En ce qui concerne la suspension de l'Égypte et le changement intervenu le 3 juillet 2013, les représentants du Gouvernement ont réitéré leurs vues, précédemment communiquées à la Commission, sur le rejet de la décision du Conseil. Ils ont souligné que la Déclaration de Lomé ne peut et ne devrait pas s'appliquer au cas de l'Égypte. En effet, ce que l'Égypte a connu le 30 juin 2013 est une véritable révolution populaire qui a culminé avec le changement intervenu le 3 juillet 2013. Pour eux, qualifier ces évènements de coup d'État militaire ou de changement anticonstitutionnel de Gouvernement est inexact et inacceptable. Ils ont indiqué que l’alinéa premier du préambule de la Constitution égyptienne énonce clairement le rôle de soutien des Forces armées à la Révolution du 25 janvier 2011, celui-là même que ces dernières ont, selon eux, joué dans la Révolution du 30 juin 2013. De leur point de vue, les réactions du Conseil aux deux Révolutions ont été totalement différentes et contradictoires, mettant ainsi en doute la crédibilité et la fiabilité de son système d'évaluation, ainsi que les intentions politiques qui sous-tendent ses décisions. Ils ont souligné que l’implication des Forces armées découlait de leur obligation constitutionnelle de protéger la nation, et était conforme aux exigences populaires. Ils ont également indiqué que les Forces armées n’ont pas cherché à prendre le pouvoir à la suite des manifestations. Au contraire, le Président de la Cour constitutionnelle suprême d'Égypte a assumé la charge de Président par intérim, et a prêté serment devant la Cour suprême en séance plénière en qualité de Président par intérim jusqu'à l'organisation d'élections présidentielles anticipées.
(b) Les autorités intérimaires ont, en outre, soutenu qu’au moment où les Égyptiens s’employaient à consolider les acquis démocratiques de la Révolution de 2011, leurs efforts ont été subvertis par un Gouvernement et un parti politique arrivés certes au pouvoir de façon démocratique, mais autoritaires. Elles ont affirmé que le Président Morsi avait pris une série de décisions qui, analysées à la lumière des critères stipulés dans la Déclaration de Lomé, apportent la preuve évidente que le changement intervenu en Égypte n’est en rien anticonstitutionnel.
(c) S’agissant de la transition, les autorités intérimaires se sont référées à la Feuille de route devant orienter ce processus au cours d’une période de 6 à 8 mois, telle qu’énoncée au paragraphe 17 ci-dessus.
(d) Les autorités intérimaires ont clairement indiqué que, pour elles, la réconciliation nationale est un processus interne pour lequel elles ne voient pas de rôle particulier pour le Groupe.
50. Les autorités intérimaires ont, en outre, déclaré que les Frères musulmans, malgré plusieurs appels et initiatives, ont refusé de se joindre au Gouvernement d’unité nationale et au processus devant conduire à l’émergence d’un consensus national sur la voie à suivre. Elles ont également affirmé que les Frères musulmans avaient rejeté toute participation au Comité chargé de la rédaction des amendements à la Constitution de 2012, ainsi que l’initiative d’Al-Azhar pour la réconciliation nationale. Les autorités ont en outre indiqué qu’il n’y avait pas de détenus politiques et que les membres des Frères musulmans qui sont détenus le sont pour des crimes liés à l’usage de, ou à l’incitation à, la violence.
51. Il convient, en particulier, de noter qu’au cours de la troisième visite du Groupe, les autorités égyptiennes ont souligné les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Feuille de route, en particulier la tenue du référendum sur le projet de Constitution, qui a été adopté par une large majorité, et la reconnaissance de ces progrès par certains États membres. Elles ont exprimé l’espoir que la suspension de l’Égypte serait levée bientôt. Les autorités égyptiennes ont également réitéré leurs accusations contre les Frères musulmans, soulignant que ce groupe avait continué de perpétrer la violence, y compris des attentats dans des villes peuplées, ainsi que contre des campus universitaires et autres lieux publics. Ce qui, selon elles, a empêché toute possibilité d’un dialogue avec les Frères musulmans.
52. Tout au long de l’interaction du Groupe avec les autorités égyptiennes, celles-ci ont affirmé que la suspension de la participation de leur pays aux activités de l'UA était soutenue par des pays décidés à saper les intérêts de l'Égypte, y compris en ce qui concerne l'élargissement éventuel du Conseil de sécurité des Nations unies pour permettre une représentation plus équitable de l'Afrique. Ce point de vue a également été repris par certains représentants des médias. Le Groupe s'est employé à dissiper cette perception, soulignant que les décisions du Conseil sont fondées sur les instruments pertinents de l'UA et qu’en dépit de la suspension, l'UA a pris des mesures pour soutenir le processus de retour à l'ordre constitutionnel en Égypte. Le Groupe a rappelé à ses interlocuteurs que l'Égypte, en tant que membre du Conseil, avait pris part aux décisions de suspension de plusieurs autres États membres de l'UA où des changements anticonstitutionnels de Gouvernement ont eu lieu.
53. Certaines des autorités de transition ont également protesté contre les consultations menées par le Groupe avec des parties prenantes internationales, accusant l'UA d'internationaliser le problème égyptien. Le Groupe a précisé qu'il n'a jamais été de l'intention de l'UA d’internationaliser la question et que les consultations menées avec les parties prenantes internationales visaient à expliquer la position de l'UA, afin d’éviter toute incompréhension, et à mobiliser le soutien le plus large possible pour l'Égypte pour qu’elle puisse relever les défis auxquels elle fait face. Le Groupe a également précisé qu'il ne cherchait pas à se substituer aux efforts égyptiens de réconciliation nationale, tout en soulignant qu'il avait pour mandat de suivre le processus et de recueillir autant d'informations que possible pour être utile au cas où les acteurs locaux solliciteraient son soutien.
(ii) Interactions avec les Frères musulmans
54. Le Groupe a rencontré les représentants des Frères musulmans à plusieurs reprises. La première réunion s’est tenue au camp de Rabaa Al-Adawiya, et la deuxième après la dispersion forcée des manifestants de Rabaa et d’Al-Nahda, le 14 août 2013. Au cours de sa troisième visite, le Groupe a également rencontré un haut représentant des Frères musulmans, un ancien Ministre du régime Morsi, en tant que membre de la Coalition contre le coup d’État.
55. Au cours de ces réunions, les représentants des Frères musulmans:
(a) ont salué la décision du Conseil, la qualifiant de décision de principe qui s’impose, et ont lancé un appel à la Commission pour que la suspension de l'Égypte reste en vigueur jusqu'au rétablissement de la démocratie dans le pays. Toutefois, il convient de noter qu’au cours de la troisième visite du Groupe, les représentants des Frères musulmans ont appelé au retour de l’Égypte au sein de l’UA, conformément aux règles de l’Union, c'est à dire à condition que le Général Al-Sissi ne soit pas candidat à l'élection visant à rétablir l'ordre constitutionnel ;
(b) ont fait valoir que les évènements du 3 juillet 2013 constituaient un coup d'État et, comme tels, ont sapé la démocratie, dans la mesure où les militaires ont renversé un Président qui a été élu démocratiquement par une majorité du peuple égyptien. Ils se sont également plaints de ce qu’ils qualifient d’arrestations arbitraires et des tueries dont leurs membres sont victimes, rejetant les accusations de recours à la violence portées contre eux;
(c) ont rejeté la Feuille de route des autorités intérimaires et la création ultérieure du Comité des 50, et ont refusé de se joindre au Gouvernement, puisqu’ils considèrent l’ensemble du processus de transition comme illégitime. Afin de sortir de la crise actuelle, ils ont proposé que M. Morsi démissionne formellement et délègue ses pouvoirs à un Premier ministre de consensus qui organiserait des élections anticipées dans un délai de 60 jours. Selon eux, cela permettrait de tourner pacifiquement la page Morsi, tout en respectant la Constitution. Ils ont informé le Groupe qu’ils avaient fait une proposition similaire avant le changement de Gouvernement intervenu le 3 juillet 2013, mais que l'Armée l'avait rejetée;
(d) ont souligné que l’offre de portefeuilles ministériels faite par le Président Morsi au Front pour le salut national, qui regroupait l’opposition à son régime, avait été rejetée et que ses appels au dialogue et à la réconciliation n'avaient pas été pris au sérieux. Ils ont accusé les hommes d'affaires de l'ère Moubarak, propriétaires de medias audiovisuels et de journaux, d’avoir mené une campagne de diffamation continue et implacable contre le Président Morsi, et critiqué le pouvoir judiciaire, qui a dissous la Chambre basse du Parlement et le premier Comité de rédaction de la Constitution au sein de la Chambre des Représentants. Ils ont ajouté que l’Égypte avait été dirigée par l’Armée au cours des 60 dernières années, une période caractérisée, selon eux, par l’autoritarisme, le truquage des élections, une répartition très sélective des richesses et une corruption généralisée. Ils ont évoqué l’existence d’ «un État profond » opposé à toute remise en cause de ses privilèges.
(e) ont souligné qu’ils avaient toujours rejeté la violence même lorsqu’ils ont été attaqués lors de l’opération conduite à Rabaa et en d’autres endroits;
(f) tout en acceptant la nécessité d’une nouvelle Constitution, d’une nouvelle Feuille de route et celle d’élections légitimes pour le pays, ils ont condamné la nouvelle Constitution de l’Égypte et les élections présidentielles et législatives alors envisagées comme étant non représentatives. Ils ont, en outre, noté que la candidature et l’élection éventuelle du Marchal Al-Sissi ne visaient qu’à légitimer et à perpétuer le régime militaire en Égypte.
56. De son côté, le Groupe, en particulier lors de sa première visite et en anticipation de la dispersion forcée alors imminente des rassemblements organisés par les Frères musulmans, a appelé à la plus grande retenue. En particulier, il a lancé un appel aux Frères musulmans pour qu’ils mettent fin aux marches qu’ils organisent chaque vendredi, étant donné que celles-ci ne faisaient qu’aggraver la tension et accroître la probabilité d'un affrontement sanglant. Le Groupe les a également appelés à s’inscrire dans le cadre de la Feuille de route. De même, le Groupe s’est employé à décourager les autorités contre une dispersion forcée des rassemblements, les a appelées à faire preuve de retenue et leur a recommandé de ne pas prendre des mesures d'exclusion de groupes particuliers.
57. Comme indiqué plus haut, le Groupe, au cours de sa première visite, a également rencontré le Président Morsi dans son lieu de détention, grâce à la facilitation des autorités égyptiennes. Lors de la réunion avec le Président Morsi, les membres du Groupe ont sollicité ses vues sur l’année qu’il a passée à la tête de l’État et les circonstances qui ont conduit à son renversement, soulignant la nécessité pour lui et ses collègues de procéder à un examen critique de leur performance gouvernementale. Ils ont saisi cette occasion pour souligner la nécessité pour ses partisans de s’abstenir de tout acte de violence et de s’engager de manière constructive dans la recherche d’une solution à la crise, ayant notamment à l’esprit la tension qui prévalait alors au Caire en raison des rassemblements populaires massifs organisés dans la capitale. Le Groupe a aussi demandé au Président Morsi pourquoi son Gouvernement n'avait pas donné suite à la proposition de visite du Groupe des Sages de l'UA, en mars 2013, qui visait à désamorcer la tension qui prévalait alors.
58. En réponse, le Président Morsi a souligné qu’il rejetait la violence et condamnait le terrorisme, mais a souligné n’avoir aucune possibilité de communiquer avec ses partisans et sympathisants. S’agissant de la visite que le Groupe des Sages avait envisagée d’entreprendre, il a indiqué qu'il n’avait jamais été informé de cette visite et que s'il l’avait été, il aurait évidemment favorablement accueilli cette initiative. Il a souligné son engagement panafricain, comme en témoignent les visites qu'il a entreprises sur le continent au cours de son court passage à la tête de l’État. Le Président Morsi espérait pouvoir s’entretenir de manière plus approfondie avec le Groupe, qui, pour sa part, se proposait de saisir une telle occasion pour essayer de faciliter un consensus sur la voie à suivre. Mais il ne fut pas possible d’avoir une seconde rencontre. En fait, les autorités ont expliqué qu’il ne serait pas possible d’organiser des rencontres avec des personnes en jugement ou détenus sur la base de décisions du Bureau du Procureur général, ce qui était le cas du Président Morsi.
(iii) Interactions avec d'autres parties prenantes égyptiennes
59. Au cours de ses deux premières visites au Caire, le Groupe s’est entretenu avec les représentants de la Coalition du 30 juin, y compris Tamarood, le Parti Al-Nour, le Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril, le Parti de l’Égypte forte, le Parti socialiste d’Égypte et des militants des Droits de l'homme. Le Groupe a été informé de l’évolution de leur mouvement de protestation. S’appuyant sur les médias sociaux, ces groupes ont défié le régime de Moubarak en janvier 2011, avant de soutenir la candidature de M. Morsi lors de l'élection présidentielle de 2012. Les représentants de ces groupes ont néanmoins indiqué qu’après son élection, le Président Morsi avait ignoré leurs avis et conseils contre les mesures unilatérales et antidémocratiques prises par le nouveau régime. Les Frères musulmans sont devenus la seule force ayant une influence sur le Président. À partir de novembre – décembre 2012, ces groupes ont commencé à faire de l’agitation contre le Président Morsi qu’ils accusaient de ne pas avoir honoré sa promesse de gouverner de manière équitable et en faveur de tous. En outre, la Coalition a indiqué que la police avait commis nombre d’actes illégaux et disproportionnés pour lesquels personne n'a été tenu responsable. Après le renversement du Président Morsi, le 3 juillet 2013, les différentes composantes de la Coalition ont développé des points de vue moins homogènes. De façon plus générale, l’évolution des positions politiques des différents interlocuteurs rencontrés est devenue plus prononcée lors de la troisième visite du Groupe; ces positions peuvent être résumées comme suit:
(a) Le Parti Al-Nour: Le Parti Al-Nour s’est allié aux Frères musulmans au moment où le Président Morsi était au pouvoir, même s’il est resté critique sur certaines politiques de son régime. D’après les représentants de ce Parti, quelques jours avant le changement du 3 juillet 2013, les dirigeants d'Al-Nour ont rencontré le Président Morsi et l’ont exhorté à: (i) former un Gouvernement de coalition, (ii) nommer un Premier ministre n’appartenant pas aux Frères musulmans, (iii) nommer un nouveau Procureur général, et (iv) initier la réconciliation avec le pouvoir judiciaire et l'Armée. Le Président Morsi ayant rejeté leurs conseils, Al-Nour a fait sienne la préoccupation de l'Armée qui, le 30 juin 2013, mettait en garde contre la menace d'une guerre civile. Al-Nour s’est joint à l'appel de l'Armée pour une nouvelle dynamique et a rejoint le mouvement qui a aidé à élaborer la Feuille de route annoncée le 3 juillet 2013. Mais plus tard, le Parti a été gagné par un certain scepticisme quant aux intentions des militaires et aux mesures qu’ils ont prises. Les représentants d’Al-Nour ont fait valoir que, même si le renversement du Président était justifié, il n’était pas nécessaire de suspendre la Constitution de 2012, ni de dissoudre le Chambre basse du Parlement. Le Parti a également plaidé pour la mise en place d'un Gouvernement de technocrates ayant une expérience avérée de la gestion de la chose publique. Peu de temps après, Al-Nour s'est retiré de la Coalition du 30 juin 2013. Le Parti a appuyé la décision du Conseil de suspendre l’Égypte, et a suggéré que le Groupe utilise cette suspension comme un moyen de pression pour le bon déroulement de la transition et pour amener les Frères musulmans à se joindre à la Feuille de route.
Il y a eu un changement dans la position du Parti Al-Nour telle qu’articulée par son représentant lors de la troisième visite du Groupe. Au cours de la réunion tenue à cette occasion, le représentant de ce Parti s’est montré plus favorable à la mise en œuvre de la Feuille de route, qui, a-t-il soutenu, constitue une bonne base pour l'avenir de l'Égypte, en particulier au regard du fait que le projet de Constitution avait été approuvé par un pourcentage plus important que la Constitution de 2012. En tant que membre du Comité des 50, il a souligné que la Constitution actuelle marquait une amélioration notable. Il a affirmé que l'élection présidentielle se préparait de manière régulière et transparente. Il a dit espérer une atmosphère plus favorable pour la protection des droits civils après les élections présidentielles et législatives. Il a exprimé l’espoir que le Parlement adopterait des lois plus libérales sur les manifestations publiques et la liberté d’expression. Il a cependant regretté le procès et la condamnation de membres du Mouvement du 6 Avril, exprimant son admiration des positions de principe de ce Mouvement qu’il considère comme l’un des piliers de la Révolution du 30 Juin. En ce qui concerne les Frères musulmans, il a indiqué que leur cas était entre les mains de la justice, mais que le Procureur général devrait accélérer leur procès. Il s’est dit réaliste quant aux perspectives de réconciliation dans le contexte actuel, soulignant que le plus important est de respecter l’État de droit.
(b) Le Mouvement du 6 Avril: Le Mouvement du 6 Avril a été critique sur certains aspects de la politique des autorités intérimaires, même lorsqu’il était membre de la Coalition, et s’est opposé à la répression contre les Frères musulmans. Il a condamné la politique des autorités intérimaires contre les médias indépendants, et a appelé à l’arrêt de la campagne de dénigrement des Frères musulmans dont ces médias étaient les vecteurs. Le Mouvement n'a pas participé aux travaux du Comité des 50, et a plaidé pour la nomination d'un Premier ministre de consensus, chef de l’Exécutif, jusqu'à la tenue d'élections nationales.
Au cours de la troisième visite du Groupe, trois des dirigeants du Mouvement venaient d'être condamnés à trois ans de prison pour leurs activités. Lors de la réunion avec les représentants du Mouvement, ces derniers ont condamné la tentative du Gouvernement "d’isoler l'Égypte de ses frères africains’’, et ont regretté ce qu’ils ont qualifié de tentative du Gouvernement de présenter l'Égypte comme victime d’un complot ourdi par des pays africains. Ils se sont également déclarés ‘’déçus par la campagne médiatique du Gouvernement contre l'UA et sa tentative de présenter une image négative de l'Union.’’ En ce qui concerne la Feuille de route, ils ont souligné que celle-ci prévoyait d’abord la tenue d'élections parlementaires suivies d’élections présidentielles, mais que l'Armée a changé l'ordre des scrutins en fonction de ses préférences. Ils ont affirmé que la Feuille de route n'était pas inclusive et qu'il y avait de sévères restrictions sur la participation des jeunes. Ils se sont également interrogés sur la sincérité du Gouvernement à protéger la démocratie, la liberté de la presse et à promouvoir la justice transitionnelle. Soulignant que l'Armée s’était engagée à ne plus jamais revenir au pouvoir, ils ont relevé que le Maréchal Al-Sissi avait troqué son uniforme militaire contre un costume civil pour devenir le prochain Président.
Les représentants du Mouvement ont expliqué que l'arrestation de leur chef, Ahmed Mahr, était due à son opposition à la candidature d’Al-Sissi. Ils ont noté qu’avec la probabilité de l’élection d’Al-Sissi, le pays est effectivement retourné à l'ère Moubarak, et est maintenant sous la domination politique complète des militaires. Ils ont plaidé pour la levée de la suspension de la participation de l'Égypte aux activités de l'UA, et ont appelé à des efforts pour amener le Général Al-Sissi à respecter les dispositions pertinentes de la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance qui interdisent aux putschistes de se légitimer par des élections. Ils ont également exprimé des doutes sur la mesure dans laquelle l'élection présidentielle serait libre et régulière, car la Commission électorale a un droit de veto pour déterminer qui serait éligible à l'élection présidentielle et qui ne le serait pas.
(c) Le Mouvement Tamarood: Le Mouvement Tamarood a exprimé son appui total à la Feuille de route et a pleinement soutenu toutes les mesures prises par les autorités intérimaires contre les Frères musulmans. À l’instar des représentants du Gouvernement, il a également exigé qu’avant de pouvoir participer au processus politique, les Frères musulmans doivent renoncer formellement à la violence, s’excuser pour les crimes qu'ils ont commis, s'engager à travailler dans le cadre de la Feuille de route et déclarer leurs sources de financement. Ils ont aussi fermement rejeté la suspension de la participation de l'Égypte aux activités de l'UA.
(d) Le Cheikh d'Al-Azhar: Le Cheikh d'Al-Azhar, Ahmed el-Tayyeb, a informé le Groupe qu'il soutenait pleinement la Feuille de route. Il a indiqué qu’il avait déployé des efforts pour amener les Frères musulmans à se joindre au processus politique. Toutefois, ces efforts furent rejetés par les Frères musulmans, convaincus qu’ils étaient que le Cheikh d'Al-Azhar soutenait le changement du 3 juillet 2013.
(e) L'Église orthodoxe copte: De même, le Patriarche de l'Église orthodoxe copte, le Pope Tawadros II, a affirmé son soutien à la Feuille de route, qu’il considère comme un plan national pour le présent et le futur du pays et qui, comme tel, devrait être soutenue par tous. Il s’est dit sceptique quant à la volonté des Frères musulmans de se joindre au processus politique. Le Pope Tawadros a souligné que les Frères musulmans ne pourront être partie prenante à la Feuille de route aussi longtemps qu'ils continueront à utiliser la religion à des fins politiques et à recourir à la violence et au terrorisme pour créer des divisions dans le pays. Le Patriarche a affirmé que l'antagonisme religieux dans le pays s’était accru avec le régime du Président Morsi, accusant les Frères musulmans d'être derrière les incendies d’églises et d’autres institutions chrétiennes dans le pays.
(f) Le Conseil national égyptien des Droits de l'Homme (NHRC): Le Conseil national égyptien des Droits de l’Homme est une institution semi-publique en Égypte. Ses membres ont accusé les Frères musulmans de recourir à la violence, d’appeler à une intervention extérieure et de recevoir leurs ordres et instructions de l’étranger. Pour ces raisons, ils estiment que les Frères musulmans ne peuvent participer au processus de transition. Il convient de noter qu'au cours de la troisième visite du Groupe au Caire, le NHRC a présenté un document sur ??les résultats de l’enquête qu’il a conduite après la dispersion forcée du rassemblement de Rabaa Al-Adaweya, le 14 août 2013. Dans ses recommandations, le NHRC a, entre autres, appelé à l'ouverture d'une enquête judiciaire indépendante sur cet incident et sur tous les autres incidents intervenus ailleurs dans le pays. Le NHRC a également demandé au Gouvernement égyptien d’intervenir immédiatement pour arrêter la campagne de haine et d'incitation à la violence promue par les médias locaux; et d’indemniser toutes les victimes des affrontements armés à condition qu’elles ne soient pas impliquées dans des actes de violence.
(g) Autres parties prenantes égyptiennes: Comme indiqué plus haut, le Groupe a eu des entretiens avec M. Amr Moussa, ancien Secrétaire général de la Ligue des États arabes et ancien Ministre des Affaires étrangères, qui a, par la suite, occupé la fonction de Président du Comité des 50 chargé de la rédaction de la Constitution, ainsi qu’avec nombre d’anciens hauts responsables membres du Conseil égyptien des Affaires étrangères, des intellectuels, des écrivains et d’éminents hommes affaires. Ces personnalités se sont félicitées du changement intervenu en Égypte, ont exprimé leur soutien à la Feuille de route et souligné la difficulté à inclure les Frères musulmans dans le processus politique, tant qu’ils n’auront pas publiquement et sans équivoque renoncé à la violence.
(iv) Interactions avec les candidats à la présidentielle
(a) Le Maréchal Al-Sissi: Comme cela fut le cas lors de ses précédentes visites, le Groupe s'est entretenu avec le Maréchal Al Sissi au cours de sa troisième visite. Au moment de cet entretien, il avait démissionné de son poste de Ministre de la Défense, et il était attendu qu’il annonçât sa candidature à l'élection présidentielle. Le Maréchal Al-Sissi a réitéré le bien-fondé des mesures prises contre les Frères musulmans, d’autant que ses membres continuent d’être impliqués dans l’escalade de la violence, refusent les appels au dialogue et les efforts de médiation et insistent sur le fait qu'ils doivent soit restés au pouvoir ou tuer ceux qui y font obstacle. Il a souligné que c’est cette inflexibilité qui a fait perdre aux Frères musulmans le soutien national et international dont il bénéficiait. Il a déclaré que le Gouvernement avait fait preuve de retenue face à l'intransigeance des Frères musulmans, ajoutant que si celui-ci avait agi plus fermement et pris des mesures plus strictes contre les Frères musulmans, l'Égypte aurait connu une situation similaire à celle qu’ont vécue le Rwanda et le Burundi. De façon plus globale, et au regard de l'expérience récente de l'Égypte, le Maréchal a admis qu'il était nécessaire de réfléchir de façon plus approfondie sur la relation entre la politique et la religion. Il a reconnu que le règlement de la crise actuelle pourrait prendre du temps.
En ce qui concerne sa candidature à la présidence, il a informé le Groupe que sa décision avait été dictée par la ‘’dette qu’il doit au peuple égyptien’’. Sur la question de la liberté de la presse en général, et le cas des journalistes d'Al-Jazeera, en particulier, le Maréchal Al-Sissi a souligné l’inadéquation des normes internationales avec la situation qui prévaut actuellement en Égypte, étant donné que son pays connait des circonstances extrêmement difficiles’’.
(b) M. Hamdeen Sabahi: Il a exprimé sa déception face à la suspension de la participation de l'Égypte aux activités de l'UA, soulignant que cette mesure ‘’violait la confiance mutuelle existante’’. Il a également exprimé sa perplexité face au fait que l'Égypte a été suspendue après le 30 juin et pas après la Révolution du 25 janvier 2011. Selon lui, les deux Révolutions étaient tout aussi représentatives de la volonté du peuple égyptien, même si l'Armée a apporté une contribution dans les deux situations. Il a critiqué la loi sur l’élection présidentielle promulguée par le Gouvernement intérimaire, la jugeant problématique pour la transparence et la régularité de l'élection.
VII. CONSULTATIONS AVEC DES ACTEURS INTERNATIONAUX
60. Tel qu’indiqué plus haut, le Groupe a rencontré un certain nombre d’acteurs internationaux, aussi bien à l’intérieur qu’en dehors de l’Égypte. Au cours de ces entretiens, le Groupe a expliqué son mandat et la position de l’UA sur la situation en Égypte.
61. Lors de la rencontre avec le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, qui est un ancien Ministre des Affaires étrangères de l’Égypte, celui-ci a pleinement approuvé la Feuille de route et expliqué la difficulté d'inclure les Frères musulmans dans le processus politique tant qu’ils ne renonceront pas à la violence. Il a soutenu que la plupart des Égyptiens perçoivent les Frères musulmans, non pas comme un parti politique, mais comme une organisation qui a recours à la violence pour promouvoir ses objectifs politiques. À son avis, le ressentiment populaire contre les Frères musulmans est tel qu’il sera très difficile de les inclure dans le processus politique. Lors de la seconde rencontre avec le Groupe, le Secrétaire général de la Ligue des États arabes a exprimé des réserves sur les visites alors envisagées par le Groupe dans certains pays pour des échanges de vues sur ses efforts, soulignant qu’une telle démarche contribuerait, selon lui, à internationaliser la crise en Égypte.
62. Le Groupe a rencontré les Ambassadeurs africains et les représentants des partenaires internationaux au Caire. Il s’est également rendu dans certains pays pour expliquer la position de l'UA et faire le point de ses efforts à ses interlocuteurs:
(i) certains des pays visités ont salué le renversement du Président Morsi, considérant les Frères musulmans comme une organisation terroriste, et, pour cette raison, ne voient aucun rôle politique pour eux en Égypte. Ils ont appelé à la levée de la suspension de la participation de l’Égypte aux activités de l’UA, comme un encouragement au processus de transition et une expression de soutien aux efforts des autorités intérimaires;
(ii) d'autres ont exprimé des vues différentes, plaidant en faveur d’un processus politique inclusif, y compris des Frères musulmans. Ils ont aussi déclaré comprendre la position prise par l’UA, dans la mesure où elle est fondée sur des instruments contraignants pour tous ses États membres;
(iii) tous les interlocuteurs du Groupe ont insisté sur l'importance d'aider l'Égypte, soulignant que la stabilité du pays est essentielle à la stabilité de la région dans son ensemble.
VIII. OBSERVATIONS
63. L'Égypte est à la croisée des chemins. Au cours de la période qui a suivi le renversement du Président Mohamed Morsi, il y a de cela presque un an, le pays a connu des moments difficiles marqués par une profonde polarisation socio-politique, des affrontements, la mort, la mutilation, l'arrestation et l'incarcération d’un grand nombre de personnes et plusieurs attentats terroristes. La situation économique est restée stagnante, avec une réduction des investissements étrangers et du tourisme. Dans le même temps, le pays a déployé des efforts pour mettre en œuvre la Feuille de route de la transition du 3 juillet 2013. À cet égard, la tenue du referendum constitutionnel, les 14 et 15 janvier 2014, a constitué la première étape majeure dans la mise en œuvre de la Feuille de route.
64. Faisant suite à l’adoption de la Constitution, l’élection présidentielle des 25, 26 et 27 mai 2014 a été la deuxième étape majeure du processus. L’élection présidentielle a opposé l’ancien Ministre de la Défense, Abdel Fatah Al-Sissi, à Hamdeen Sabahi, chef du Parti populaire. Selon les résultats officiels, le Maréchal Al-Sissi a remporté l’élection avec 96,7% des voix. Le Groupe prend note des conclusions de la Mission d’observation électorale de l’UA soulignant que l’élection s’est déroulée dans un environnement qui a permis aux électeurs de participer librement au processus et d’exercer leurs droits, et ce dans une atmosphère stable, paisible et régulière.
65. Le Président élu a prêté serment le 8 juin 2014, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée au siège de la Cour constitutionnelle suprême au Caire. Le Président a pris fonction après avoir formellement signé un document de passation de pouvoir avec le Président intérimaire, Adly Mansour. La tenue réussie de l’élection présidentielle constitue un pas supplémentaire sur la voie du parachèvement du processus de transition tel que défini dans la Feuille de route.
66. S’il est indéniable que ces progrès sont importants et hautement symboliques, il n’en reste pas moins vrai que la période préélectorale a été marquée par des lacunes notables. Il convient de relever ici le paragraphe pertinent de la Déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’UA. « La Mission, tout en étant conscient du contexte politique et sécuritaire, a noté que l'environnement pré-électoral a été largement influencé par la loi sur les manifestations publiques qui a réduit la liberté d'expression et a laissé une marge limitée aux partis d'opposition pour exprimer leurs griefs par peur d’être criminalisés. En conséquence, le contexte préélectoral a été caractérisé par l’interdiction des manifestations publiques et l’arrestation massive de militants et de journalistes. De fait, les principes fondamentaux de la participation, tels que contenue dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme, ont été compromis. L'élection égyptienne s’est tenue dans un contexte de restriction des droits et des libertés». En outre, seul deux candidats se sont présentés à l’élection, bien moins que le nombre de candidats aux élections de 2012, et la participation a été plutôt faible malgré l’ajout imprévu d’un troisième jour de vote.
67. De façon générale, les développements de ces derniers mois ont eu lieu dans un contexte de forte polarisation politique et sociale. Le fossé entre les autorités intérimaires et les Frères musulmans a continué à se creuser, ponctué par de violentes confrontations. D’autres groupes politiques qui avaient initialement soutenu la Feuille de route, y compris le Mouvement des Jeunes du 6 Avril, ont le sentiment d’avoir été exclus du processus, et certains de leurs dirigeants ont été arrêtés. La situation des droits de l’homme est préoccupante, notamment du fait de la détention continue, sans jugement, de milliers d’activistes politiques et des condamnations à mort massives prononcées par les juridictions du pays sans respect des procédures.
68. Le pays est également confronté à la persistance des actes terroristes dans la péninsule du Sinaï, ainsi qu’au Caire, où des universités et des postes de police ont été pris pour cible. Les autorités accusent les Frères musulmans et des groupes qui leur seraient affiliés d’être les auteurs de ces attaques. Les Frères musulmans, pour leur part, rejettent toute implication dans ces activités terroristes qu’ils ont même condamnées. Ils accusent le Gouvernement d’avoir engagé une campagne de répression et d'incitation à la haine contre leurs membres à travers les médias.
69. Tout au long de sa mission, le Groupe a été guidé par les considérations suivantes:
- la place de l'Égypte en Afrique et l’importance de l'Afrique pour l'Égypte. La poursuite de l’instabilité en Égypte aurait un effet adverse sur les pays de la région. Aussi, l'UA a un intérêt particulier à la stabilisation rapide de la situation en Égypte et au règlement des défis auxquels elle est confrontée;
- la solidarité de l’UA avec le peuple égyptien, dont l’aspiration à la démocratie, à l’État de droit, à la bonne gouvernance et au respect des droits de l'homme s’inscrit dans la droite ligne des instruments pertinents de l’UA;
- l’engagement de l’UA, conformément à son devoir et responsabilités qui sont les siennes envers tous ses États membres, à promouvoir et à favoriser des solutions africaines dans le cadre des instances africaines compétentes; et
- la nécessité pour l'UA d'agir de manière cohérente dans la mise en œuvre de ses instruments pertinents indépendamment de l'État membre concerné.
70. Conformément aux décisions pertinentes du Conseil, le Groupe a souligné la nécessité pour toutes les parties concernées de faire leur l’esprit de dialogue et de tolérance mutuelle, et de s’abstenir d’actes de violence et de vengeance. Le Groupe a fermement condamné tous les actes de terrorisme, et a lancé un appel à toutes les parties prenantes pour qu’elles se dissocient clairement et sans équivoque de tels actes. Le Groupe a encouragé les acteurs politiques égyptiens à s’engager sur la voie de la réconciliation nationale. À cet égard, le Groupe a pris note de l’adoption, par les autorités égyptiennes de transition, d’une Feuille de route et a suivi la mise en œuvre de ses différents aspects.
71. Dans ses interactions avec les parties prenantes égyptiennes, en particulier les mouvements de jeunes, le Groupe a noté leur enthousiasme et leur aspiration profonde à des changements fondamentaux dans leur pays. À travers la Révolution de Janvier 2011, le peuple égyptien a marqué son rejet du régime militaire autoritaire de l'ancien Président Moubarak, ainsi que de la corruption et des inégalités socio-économiques. Le Groupe a également noté, à l’instar du Conseil en juillet 2013, qu’en dépit des progrès significatifs accomplis dans le processus de démocratisation, notamment avec l’élection en juin 2012 d’un Président de la République, l’Égypte n’en était pas moins confrontée à de graves défis, notamment la frustration croissante de nombre d’Égyptiens par rapport à la gestion du pays, l’accumulation de difficultés économiques, la dégradation de la situation sécuritaire et politique et la polarisation sociale, ainsi que l’absence d’un consensus sur la meilleure voie à suivre.
72. Dans le même temps, le Groupe constate que la position des autorités intérimaires sur le changement de Gouvernement intervenu le 3 juillet 2013, telle qu’articulée plus haut, n’est pas conforme aux dispositions de l’article 153 de la Constitution de 2012, qui énonce clairement la démarche à suivre pour le transfert du pouvoir présidentiel. En fait, la décision du Conseil du 5 juillet 2013 est fondée sur cette disposition de la Constitution qui stipule que, dans l’hypothèse où le Président n’est pas en mesure de remplir ses fonctions, le Premier ministre ou le Président de la Chambre des représentants ou le Président du Conseil de la Shura, selon le cas, assure l’intérim. À cet égard, et considérant que la Constitution de 2012 ne permet au Président de la Cour constitutionnelle suprême d’Égypte d'assumer la charge de Président par intérim, le Groupe réaffirme le bien-fondé de la décision du Conseil du 5 juillet 2013.
73. Le Groupe voudrait relever le rôle que l’Armée a joué dans le renversement du Président démocratiquement élu Mohamed Morsi. En agissant de la sorte, l’Armée a créé un précédent dangereux pour l'avenir de l'ordre constitutionnel dans le pays. Si l’on admet que les soulèvements de masse, quelle que soit l’ampleur du soutien populaire dont ils bénéficient, autorisent l’intervention de l’Armée pour renverser des Gouvernements démocratiquement élus, alors aucun pays ne sera épargné par l’instabilité.
74. Le Groupe voudrait féliciter le Conseil pour la position de principe très courageuse qu’il a prise sur le changement anticonstitutionnel de Gouvernement intervenu en Égypte, le 3 juillet 2013. Le Conseil a pris une décision historique concernant un État membre important de l'UA, ne se contentant pas seulement de faire preuve de fermeté envers des pays plus faibles. Dans cette situation, comme dans beaucoup d'autres crises, l'UA, à travers le Conseil, a joué un rôle essentiel, qui ne peut que renforcer sa crédibilité, faire avancer la cause de la démocratie et contribuer au développement institutionnel sur le continent. Il s’agit là d’une décision dont l’Afrique devrait être fière.
75. La tenue de l’élection présidentielle et le transfert formel et pacifique du pouvoir au Maréchal Al-Sissi, qui était le chef de l’Armée et le Ministre de la Défense au moment du changement anticonstitutionnel de Gouvernement, pose un sérieux défi à l’UA quant à la réponse à apporter à la question de la reprise de la participation de l’Égypte aux activités de l’UA. En effet, et même si l’ordre constitutionnel a été formellement rétabli, l’UA peut-elle réadmettre l’Égypte en son sein, eu égard aux dispositions de la décision Assembly/AU/Dec.269(XIV), qui stipule que les auteurs de changements anticonstitutionnels de Gouvernement ne peuvent participer aux élections visant à restaurer l’ordre constitutionnel. Cette disposition a été reprise par l’Article 25 (4) de la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance. Il convient de noter que l’Égypte n’est pas partie à la Charte.
76. Le Groupe a longuement débattu de cette question. À cet égard, il a pris en compte les éléments suivants: d'une part, le besoin de cohérence dans la mise en œuvre des normes de l'UA sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement et la consolidation des avancées démocratiques sur le continent; d'autre part, la nécessité de ne pas ignorer d'autres considérations d'importance pour l'UA et le continent, en particulier la nécessité pour l'UA de continuer à interagir de manière efficace et constructive avec les autorités égyptiennes et les autres parties prenantes sur le processus de démocratisation dans leur pays et la stabilisation de la situation sur le terrain.
77. Dans les discussions que le Groupe a eues avec les autorités égyptiennes, celles-ci ont estimé que la suspension de la participation de leur pays aux activités de l'UA était soutenue par des pays décidés à saper les intérêts de l'Égypte, y compris en ce qui concerne l'élargissement éventuel du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de permettre une représentation africaine plus équitable. Ce point de vue a également été repris par certains médias. Le Groupe s'est employé à dissiper une telle perception, soulignant que les décisions du Conseil sont fondées sur les instruments pertinents de l'UA et qu’en dépit de la suspension, l'UA a pris des mesures pour soutenir le processus de retour à l'ordre constitutionnel en Égypte. Le Groupe a rappelé à ses interlocuteurs que l'Égypte, en tant que membre du Conseil, a participé à nombre de décisions suspendant d'autres États membres de l'UA qui avaient connu des changements anticonstitutionnels de Gouvernement.
78. Le Groupe voudrait souligner qu'il a été profondément troublé par le rejet exprimé par l'Égypte des décisions prises par le Conseil à cet égard. Si le Groupe peut entièrement comprendre les frustrations, voire même l’expression par les autorités égyptiennes de leur désaccord sur la base de leur interprétation de la nature des événements survenus le 3 juillet 2013, il voudrait toutefois souligner qu’en vertu de son appartenance à l'UA, et en tant que partie au Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité, l’Égypte a l'obligation de se conformer aux, et de respecter les, décisions du Conseil. À cet égard, il convient de rappeler les dispositions de l'article 7 (2, 3 et 4) du Protocole, qui stipule que les États membres: (i) reconnaissent qu’en s’acquittant de ses devoirs au terme du Protocole, le Conseil de paix et de sécurité agit en leur nom; (ii) conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de paix et de sécurité, conformément à l'Acte constitutif; et (iii) conviennent d’apporter leur entière coopération au Conseil de paix et de sécurité et de faciliter toute action qu’il entreprendrait en vue de la prévention, de la gestion et du règlement des crises et des conflits, en vertu des responsabilités qui lui sont confiées au terme du Protocole.
79. Certaines des autorités de transition ont également protesté contre les consultations menées par le Groupe avec des acteurs internationaux, accusant l'UA d'internationaliser le problème égyptien. Le Groupe a précisé qu'il n'a jamais été dans l'intention de l'UA d’internationaliser la question et que les consultations menées avec des acteurs internationaux visaient à expliquer la position de l'UA, afin d’éviter toute fausse interprétation, et à mobiliser le soutien le plus large possible aux efforts que déploie l'Égypte pour relever les défis auxquels ce pays est confronté. Le Groupe a également précisé qu'il ne cherchait pas à se substituer aux efforts égyptiens de réconciliation nationale, tout en soulignant qu'il avait pour mandat de surveiller le processus de mise en œuvre de la Feuille de route et de recueillir autant d'informations que possible, aux fins d’aider les acteurs locaux qui solliciteraient son soutien.
80. Tel qu’indiqué ci-dessus, le Groupe a eu des consultations approfondies avec les acteurs internationaux. Le Groupe voudrait remercier les Ambassadeurs africains au Caire, le Tchad, en tant que pays assurant la présidence en exercice de la CEN-SAD, l'Ouganda, en tant que pays assurant la présidence en exercice du COMESA, ainsi que le Président en exercice de l'Union, pour le soutien qu’ils lui ont apporté au Groupe et les conseils qu’ils ont prodigués. Le Groupe exprime également sa reconnaissance à la Ligue des États arabes, ainsi qu’au Qatar, aux Émirats arabes unis et à la Turquie, pour la coopération qui lui a été apportée et les échanges de vues avec ces acteurs utiles.
81. Le Groupe note, toutefois, avec regret que, malgré les partenariats stratégiques qui existent entre l'UA, d'une part, l'UE, les Nations unies et certains partenaires bilatéraux, en particulier les États-Unis d’Amérique, d’autre part, il n'y a pas eu d’interaction significative de la part de ces partenaires sur la question de l’Égypte. Cette situation contraste fortement avec le soutien apporté à, et les consultations avec, l'UA dans d'autres crises. Pourtant, l'Égypte est un pays africain dont le sort est étroitement lié à celui du reste du continent. Les problèmes auxquels l'Égypte est confrontée, en particulier les relations entre religion et politique et le rôle de l'Armée, sont d’une égale pertinence et préoccupation pour les autres États membres de l'UA.
82. Au cours de ses consultations, l'attention du Groupe a été attirée sur la question du Nil par certains des acteurs égyptiens, qui ont exprimé le souhait que le Groupe joue un rôle dans le règlement de la question et favorise la compréhension et la coopération entre les pays riverains. Le Groupe, tout en reconnaissant l'importance de la question, a précisé que la question du Nil ne relevait pas de son mandat. Mais, il s'est engagé à porter les points de vue exprimés à l'attention de la Commission de l'UA et sa Présidente.
IX. Recommandations
83. À la lumière des observations qui précèdent, le Groupe voudrait formuler les recommandations suivantes:
En ce qui concerne la suspension de la participation de l'Égypte aux activités de l’UA: Compte tenu (i) des progrès accomplis et des mesures prises par les autorités égyptiennes pour rétablir formellement l'ordre constitutionnel, (ii) du fait que la suspension du pays pendant près d'un an a envoyé un signal fort aux acteurs égyptiens quant à l'attachement de l’UA à ses principes et instruments, et (iii) de la nécessité pour l'UA de continuer à interagir avec l'Égypte et à accompagner les efforts des autorités égyptiennes pour la mise en œuvre intégrale de la Feuille de route, le Groupe recommande la levée de la suspension de l’Égypte et sa réadmission dans les organes de décision de l’UA.
Le Groupe voudrait souligner que la levée de la suspension de l'Égypte, en dépit du rôle du Président élu dans les événements qui ont conduit à la suspension, ne doit pas être interprétée comme créant un précédent s’agissant du respect de l'article 25 (4) de la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance. Elle devrait être analysée à la lumière des circonstances évoquées ci-dessus.
Sur le processus politique et le dialogue national: Pour permettre à l'Égypte, avec des chances raisonnables de succès, de répondre aux aspirations de son peuple à la démocratie, il est nécessaire de promouvoir un processus politique qui soit représentatif de tous les segments de la société égyptienne, pour autant que tous les acteurs concernés soient attachés au recours à des moyens pacifiques et à un dialogue politique constructif. L'espace politique dans le pays devrait être élargi pour renforcer le pluralisme et permettre la constitution d'une opposition politique pacifique. À cette fin, le Groupe demande à toutes les parties prenantes égyptiennes de s’engager dans un véritable dialogue national et dans un processus de réconciliation sans exclusive. Une telle mesure renforcerait non seulement la légitimité des nouvelles autorités politiques, mais éliminerait également le sentiment d'exclusion et de marginalisation ressenti par certains groupes et qui pourrait les conduire à recourir à des moyens extrêmes, y compris l'usage de la violence.
Ce consensus est d'autant plus nécessaire que l'Égypte est confrontée à de graves défis socio-économiques. Ces problèmes ne peuvent être réglés qu’avec un minimum de stabilité et de cohésion nationale.
Sur le du processus de démocratisation: Dans une première étape, il est nécessaire pour les autorités égyptiennes de créer les conditions requises pour la tenue d’élections parlementaires transparentes et crédibles. Il est prévu que ces élections se tiennent rapidement pour parachever la transition. Le Groupe fait siennes les recommandations de la Mission d’observation électorale de l’UA, en particulier l’abrogation de l'article 7 de l’ordonnance présidentielle qui fait du Comité présidentiel pour les élections le juge en dernier ressort du contentieux électoral; la mise en place de mécanismes de surveillance du respect de la règlementation sur le financement des campagnes électorales, afin d’encourager la transparence et de promouvoir l’équité entre tous les candidats; ainsi que, par-dessus tout, la promotion d’un système électoral inclusif et l’ouverture d’un espace plus large pour l'opposition. Ces mesures contribueraient à la création de conditions propices à la tenue d’élections crédibles en Égypte.
Le Groupe exhorte les autorités égyptiennes à saisir l’opportunité qu’offrent les prochaines élections législatives pour assurer une plus grande inclusivité et promouvoir le pluralisme politique dans leur pays. À cette fin, il est impératif que la loi devant régir ces élections soit élaborée à travers un large processus consultatif, de manière à ce qu’elle garantisse les droits politiques fondamentaux, tels qu’énoncés dans la Constitution de 2014. En effet, le Groupe note que le projet de nouvelle loi parlementaire, rendu public le 21 mai 2014, qui réduit le nombre de sièges au Parlement de 600 à 540, donne au Président le droit de désigner 5% de ce nombre. En outre, l'article 3 du projet de loi réduit la part des partis politiques à seulement 20% des sièges, les 75 % des sièges restants devant être pourvus par des candidats indépendants. Ainsi que l’ont relevé certains partis politiques égyptiens, le maintien de cette disposition priverait ceux qui sont les moins dotés en ressources de toute chance de remporter une élection, compte tenu des coûts élevés qu’induit une campagne menée à titre individuel. Aussi, le Groupe appelle les autorités égyptiennes à revoir ces clauses du projet de loi.
Toutes les forces socio-politiques du pays devraient être autorisées à jouer un rôle constructif dans la promotion du dialogue et de la réconciliation nationale. Les médias et les dirigeants d'opinion ont une responsabilité particulière à cet égard. Ils devraient s’employer à renforcer la tolérance et à favoriser un débat pluraliste sain plutôt qu’à contribuer à l’ostracisme de certaines forces politiques et à promouvoir leur exclusion.
En outre, l'Égypte devrait être persuadée à signer et à ratifier rapidement tous les instruments de UA sur la démocratie, les élections et la gouvernance, en particulier la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance, et à prendre des mesures concrètes en vue de la mise en œuvre des dispositions qui y sont contenues.
Sur la situation des droits de l'homme: Comme noté précédemment, nombre de violations des droits de l'homme ont été signalées tout au long de la période de transition. Outre le fait que l’Égypte a, ce faisant, enfreint ses engagements internationaux et les garanties en matière de droits de l'homme, tels que prévus par sa Constitution, cette situation pourrait gravement ternir l'image du pays. Le Groupe recommande le renforcement du Conseil national des droits de l'homme, pour lui permettre de surveiller la situation des droits de l'homme et de recommander les mesures nécessaires pour que les auteurs d’abus rendent compte de leurs actes et promouvoir la réconciliation.
Le Groupe recommande fortement que les autorités égyptiennes acceptent que la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples entreprenne une évaluation de la situation des droits de l'homme dans le pays et fasse rapport au Conseil de paix et de sécurité.
Le Groupe recommande, en outre, que des mesures soient prises pour que le système judiciaire juge les personnes qui ont été arrêtées avec les garantis requises, et que ceux qui ne sont pas inculpés soient libérés, afin d’éviter toute perception de politisation du système judiciaire.
Sur les normes de l’UA en matière de changements anticonstitutionnels de Gouvernement: Le Groupe note avec satisfaction le débat que le Conseil a tenu le 29 avril 2014 sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement et les soulèvements populaires, ainsi que le communiqué de presse publié à cette occasion. À la lumière des difficultés rencontrées dans l'application des normes de l’UA sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement, en particulier dans le contexte des soulèvements populaires, le Groupe recommande l'élaboration d’une directive visant à déterminer la compatibilité des soulèvements populaires avec les normes de l’UA sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement. Tenant compte des récentes expériences en Afrique du Nord, y compris en Égypte, le Groupe recommande qu’une telle directive soit fondée sur les éléments suivants: (a) le recours, par un Gouvernement, à des pratiques autoritaires d’une ampleur telle que sa légitimité en soit remise en cause; (b) l'absence ou l’ineffectivité totale des processus permettant d’opérer des changements constitutionnels de Gouvernement; (c) un fort soutien populaire au soulèvement en cause, en ce qu’il mobilise une partie significative de la population et implique des personnes et des groupes de tous horizons et convictions idéologiques; (d) la non-participation de l'Armée dans la destitution du Gouvernement en cause; et (e) le caractère pacifique de la protestation populaire.
Interaction avec les partenaires: Les normes de l’UA sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement visent à promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance. Animée par la conviction que cette préoccupation est partagée par tous ses partenaires, l'UA attend d’eux une collaboration franche et constante dans la mise en œuvre de ses décisions visant à promouvoir ces valeurs communes, en particulier dans le contexte des changements inconstitutionnels de Gouvernement.
- Poursuite de l'engagement de l'UA: Au regard des défis politiques et démocratiques auxquels l’Égypte continue d’être confrontée et du fait que la mise en œuvre de la Feuille de route n’est pas encore achevée, le Groupe recommande que le Conseil continue de rester saisi de la question et maintienne l'Égypte à son ordre du jour, et ce sur la base de rapports réguliers, au moins une fois par an. Ce faisant, le Conseil et la Commission de l'UA pourront contribuer efficacement à la mise en œuvre des différentes mesures recommandées. Par ailleurs, le Groupe recommande le renforcement de la Mission permanente de l'UA au Caire, pour lui permettre d'interagir efficacement avec les autorités égyptiennes et les autres parties prenantes et de suivre sur le terrain la mise en œuvre des recommandations du Groupe, telles qu’elles auront été entérinées par le Conseil. Il est aussi important d’interagir régulièrement avec les Groupes africains sur les questions d’intérêt pour le continent de façon à renforcer la portée des décisions prises et la cohésion des positions africaines.
Sur l'autorité des décisions du Conseil de paix et de sécurité et les obligations des États membres: Compte tenu du rejet déclaré par l'Égypte des décisions du Conseil, il est essentiel que cet organe rappelle formellement à l'Égypte les obligations qui sont les siennes au terme du Protocole relatif au CPS et de l'Acte constitutif de l’UA.
Posted by Marsden Momanyi
Last updated by Abraham Kebede
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